Bon, il y a à peu près un an, j’ai fait une promesse stupide.
Comme toutes les promesses stupides, je n’ai finalement décidé de l’honorer qu’à 24 heures de son échéance, de peur de passer pour quelqu’un qui prendrait des engagements à la légère (il n’en est rien, bien sûr).
Ce matin aux aurores, après mon tour du domaine de chasse quotidien, je me suis donc mis à l’ouvrage et rattrapé mon retard de production des six derniers mois en engrangeant les billets concernés.
Maintenant donc que, à quelques nuances sémantiques près, je me suis acquitté de ma tâche, je me dit qu’il serait fort dommage de brusquer les habitudes de ce journal par un changement de cadence qui serait probablement fatal à bien des lecteurs dont le coeur déjà fragilisé par les abus de fin d’année ne s’en remettrait pas. Et vu la fréquentation des lieux, si on commence à décimer le lectorat, on est mal barré.
En conséquence, les-dits billets ont été confiés sous seing privé à mon huissier, maître Linux Server IV, qui se chargera à intervalles réguliers d’en opérer la publication sur ce journal dans les jours qui viennent.
En fait, le présent billet devrait lui-même apparaître de cette manière, ce soir à 23:59 précise, pour peu que les conditions météorologiques et thermonucléaires mondiales restent clémentes.
À l’année prochaine !
Father McKenzie wiping the dirt from his hands as he walks from the grave
No one was saved.
Eleanor Rigby
Les enterrements sont des cérémonies paradoxales, en cela que l’on s’acharne à les rendre mémorables, mais tout le monde voudrait pouvoir les oublier aussitôt.
Vous avez déjà vu un photographe officiel à un enterrement, vous?
On se resserre un peu autour du cercueil, s’il vous plaît, je n’arrive pas à faire tenir tout le monde dans le champ… Maintenant le défunt avec seulement les enfants… Bon, après ça : quelques photos en extérieur, avec le soleil couchant dans les ormes du cimetière?
Il y a essentiellement deux types d’enterrements : ceux où l’on se rend pour le mort et ceux où l’on accompagne les vivants. Ceux dont en fin de compte, on garde peu de souvenirs, trop occupé à surnager dans sa peine pour faire attention au reste… Et ceux dont chaque minute austère et inconfortable s’imprime à l’encre de la douleur ambiante.
C’est dans ces cas là que les détails les plus idiots prennent de ridicules proportions. De minuscules angoisses sociales qui se transforment en interminables débats intérieurs : des questionnement sur la couleur de sa cravate, le nombre de boutons de sa veste ou la tournure exacte du cliché condoléancieux qu’il sera de bon ton de prononcer, sans chercher l’originalité ou la sincérité. Et puis à coté, pendant que je m’interroge sur mon choix de boutons de manchette, il y a un mort et des gens qui pleurent.
Bien sûr, je la ressens aussi, cette tristesse qui m’entoure. Un peu par empathie, un peu par un égoïste réflexe d’identification. En fait, je me souviens surtout des dernières fois où c’était moi, celui pour qui rien n’avait d’importance, celui qui serait venu en jeans et baskets, sachant bien que les morts s’en foutent, autant que je me foutais des vivants en ces occasions.
Ce jour là, c’était pour les vivants que j’étais venu. Debout, les yeux baissés dans la contemplation de ma paire de gants.
Et puis tu as pris la parole.
Immédiatement, je ne t’ai pas aimé.
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