Tous les jours, je me rends au laboratoire en bicyclette.
Le matin, j’emprunte une petite route en promontoire qui serpente le long du fleuve : entre les reflets argentés des galets, les maisons en bois alignées sur la rive en face et les montagnes tout autour, on se croirait dans une vallée des Alpes. À part les automobilistes, qui se sentent peu concernés par la nonchalance helvétique, et ne partagent qu’à contre cœur l’étroite route à double sens avec les amateurs d’air champêtre en deux-roues.
Le soir, je coupe par les terres et navigue les chemins de rizière à la seule lueur de ma dynamo. À choisir mes risques, plutôt finir dans cinquante centimètres d’eau boueuse, qu’aplati entre deux semi-remorques.
J’aime bien ma routine du soir, où la nécessité de tenir un guidon plutôt qu’un livre ou un bloc-note, me force à passer vingt minutes en tête-à-tête avec mes pensées. C’est fou, les choses dont on se souvient lorsque l’on n’essaie pas de réfléchir à quelque chose. Un ami qui avait fait le tour du monde en vélo m’avait confié qu’il occupait les étapes les plus monotones de son périple en se récitant des quatrains : les alexandrins se plieraient naturellement au rythme des coups de pédale sur une respiration régulière. Il avait raison.
L’air vespéral a le parfum distinct des soirées d’automne, vivifiant mais pas encore glacial, un air au goût délicieux, comme on dit par ici.
Parfois, en pédalant dans ma campagne crépusculaire, je ne peux m’empêcher de penser aux curés de Bernanos, sans vraiment savoir pourquoi.
Je me demande s’il existe un bovarysme heureux.