Dyong…
« Un dixième de tour… »
Dyyoong…
« Non, dans l’autre sens, une plume de quart-de-ton en dessous, je dirais. »
Dong !
« Parfait ! Bon, on passe au Sol, maintenant. »
Accorder un vieux piano, c’est beaucoup plus dur qu’il n’y parait. Quand en prime, on dispose pour seul outillage d’une clef anglaise extirpée des entrailles d’un chalet poussiéreux, c’est des coups à y passer un après-midi entier. Heureusement on n’est pas trop pressé : pas de ski aujourd’hui et à part aller prendre un verre de la Noël chez le couple de vieux en face, notre agenda mondain est plutôt dégagé.
Iryna tapote patiemment les touches une par une. Le chat observe avec un intérêt non-feint et renouvelé à chaque fois qu’une note discordante vient lui faire friser les moustaches. Debout en équilibre sur un vieux tabouret, je m’efforce de faire bouger des chevilles qui se souviennent probablement de la première ascension de Frisson-Roche.
Finissant par prendre conscience du risque non-négligeable de se prendre un couvercle de piano sur la truffe, le chat se réfugie sur les genoux d’Iryna, qui continue sa lente progression vers les octaves périphériques. De sa main libre, elle lui flatte le dessous du menton et lui glisse quelques confidences excitées dans sa langue favorite. Je lui fais remarquer que malgré des origines de quartier assez floues, il y a fort peu de chance que ce chat ait grandi dans la banlieue moscovite. Elle rétorque que tous les félins parlent couramment russe. Au lieu de commenter sur les origines sibériennes douteuses de notre panthère domestique, j’en profite pour souligner qu’on ne lui a toujours pas trouvé de nom.
Elle s’interrompt quelques secondes, mesure la distance aux extrémités, la courbure des oreilles, examine l’écart des rayures grises et noires le long de sa queue et annonce emphatiquement qu’il sera désormais «le chat», eût égard à sa conformité parfaite à l’idéal platonicien de l’espèce.
Après tout, tant que nous nous limitons à notre seul exemplaire, toute nomenclature approfondie est superflue.
À cinq octaves et demi, Iryna me fait signe que ça devrait suffire. Elle monte et redescend lentement la gamme chromatique, demande son avis au chat qui a l’air satisfait, et entame, pianissimo possibile, un concerto de Chopin.
Là-haut, quelqu’un vient de retourner notre petit globe de verre et les flocons se mettent à tourbillonner à la fenêtre.
On s’accroche encore…
C’est toujours aussi bien de te lire.
A bientôt ?
A-
Commentaire by hern — 6 décembre 2010 @ 6:11