Kinbaku-bi pourrait se traduire par «l’esthétique des liens étroits».
Les liens, Naoko les aiment enroulés autour de son corps dans des motifs élaborés et asymétriques.
L’art des cordes japonaises n’est pas qu’un érotisme de contrôle et de soumission. Pour celui qui arrange les cordes, c’est aussi un plaisir esthétique. Et pour elle ?
Elle sourit : sentir des cordes comprimer ses seins et mordre dans son intimité lui apporte plus de plaisir que bien des hommes, moins adroits mais pas moins fiers de leur pauvre petite ficelle.
Naoko pratique avec passion le tsuri : la suspension par des cordes qui l’attachent à une poutre ou une poulie, son propre poids agissant alors sur la tension des liens. Comme un oiseau pris dans un filet qui ne se débattrait pas. Avec sa moue excitée et ses yeux aiguisés, Naoko ressemble plus à un petit tigre asiatique qu’à un oiseau tropical.
En cherchant des toilettes à l’étage, je pousse la porte entrouverte d’une des chambres. La jeune fille assise sur le bord du lit m’invite à rentrer d’une voix douce et me verse une tasse de thé noir comme si elle m’attendait depuis le début de la soirée.
La chambre est tapissée du seul motif mural dont l’on ne se lasse jamais : des rangées de livres du plancher au plafond. Je jette des regards envieux vers cette bibliothèque de sédentaire et attrape quelques volumes au hasard. Nous discutons de Dostoïevski, du peu d’estime qu’elle a pour ses traducteurs, de l’insistance de Tolstoï à écrire tous ses dialogues en français dans le texte. Ses pommettes rouges et sa figure de paysanne slave étonnent sous son accent oxfordien, mais se retrouvent dans une même rondeur apaisante.
En bas, Paulina est assise en travers du fauteuil dans une pose où la nonchalance le dispute à l’impudeur. Elle n’est pas particulièrement jolie, mais son excitation palpable pour la discussion et les éclats de son rire puissant et un peu rauque lui confèrent une crudité érotique hors d’atteinte des jeunes filles alentours, tout en traits raffinés, maquillage et dentelle. Qui eût cru qu’une dissertation alcoolisée sur la gnose puisse à ce point exciter les sens.
Perdu en songerie sur l’insondable multitude du genre féminin et l’énumération sysiphienne de ses déclinaisons, je me sentirais presque des velléités de philatéliste amateur.