Le problème avec l’écriture en général, c’est les lecteurs.
C’est pourquoi j’ai décidé de commencer simple. C’est à dire sans lecteur. On ne peut jamais faire trop simple quand on écrit.
Surtout quand il s’agit de trouver une entrée en matière à sec, comme ça.
C’est vachement dur les introductions, tout bon commentateur contemporain vous le dira: il faut réussir à capter les neurones d’un public rendu extrêmement exigeant par le niveau de qualité de l’offre télévisuelle moderne (il parait qu’il y a des rediffusions de La Ferme Célébrité au moment même où j’écris ces lignes) et simultanément justifier sa raison d’écrire, sujet chiant par excellence. D’ailleurs, sur ce point, c’est pas tellement du jeu: est-ce qu’on a déjà vu un animateur télé, lors de la première, vous expliquer pourquoi les gourmettes pensantes de la chaîne ont jugé nécessaire de donner un budget et un créneau horaire à leur dernière flatulence matinale du moment?
« Pas assez de batailles de nains hydrocéphales en string panthère. Produire plus de batailles de nains hydrocéphales en string panthère. »
[…]
« En 1936, Heidegger s’interrogeait sur la conception Nietzschéenne de la Volonté de Pouvoir comme vecteur de la poursuite artistique… Tout de suite, les batailles de polochons de quinze adolescent(e)s pré-pubères: un combat à mort pour savoir qui aura le droit de masser les testicules de Johnny Halliday en direct lors de son prochain concert. Envoyez un SMS par minitel au 3646 pour voter. »
A la réflexion, peut-être que la notion de justification de la démarche artistique est légèrement tombé en désuétude. Cela ne m’étonne guère d’ailleurs. Le déclin de notre société et l’abandon des valeurs de savoir-vivre qui en ont assuré le rayonnement de tout temps, n’est hélas plus à démontrer: il n’est pas rare aujourd’hui de croiser la route de jeunes femmes marchant tête nue et sans corset, il n’est plus considéré comme un faux-pas majeur dans les salons parisiens de sauter l’étape du baise-main avant pénétration anale, j’ai même entendu dire que certains juifs avaient maintenant le droit de vote en France.
Justifions, donc:
Me complaisant dans la publication de mes écrits en seule langue anglaise, agrémenté de très occasionnels décrochages régionaux, je n’avais guère ressenti jusqu’à présent la moindre nécessité de consacrer une part plus substantielle de mes activités pseudo-littéraires à la langue française. Il fallut l’aide précieuse d’un ami pour me faire prendre conscience que ma maîtrise d’icelle avait, au cours des années, inexorablement décliné pour atteindre un niveau des plus alarmants. Le caractère anormalement laborieux de mes récentes incursions épistolaires dans cette langue n’étant pas sujet à apaiser mes inquiétudes.
Seule la pratique rend parfait, comme l’expliquait si bien l’Etrangleur de Boston – dont les premières tentatives en la matière laissaient beaucoup à désirer – et c’est donc tout naturellement vers vous, hypothétique et techniquement non-existant lectorat, que je me tourne afin de rendre témoignage de ma nouvelle résolution linguistique.
Entendons nous bien: point n’est besoin de m’envoyer encouragements ou compliments sur mes louables efforts en la matière. Bien qu’ayant un peu de mal avec les derniers développements lexicaux de l’Académie Française, je compte néanmoins le français comme l’une de mes langues maternelles. Très maternelle même, puisque c’est à ma douce et tendre génitrice que je dois une prédisposition atavique pour la gastronomie batracienne et un goût pour la littérature française des 3 derniers siècles. En revanche, le fait d’avoir passé plus d’années de ma folle jeunesse occupé à compter les lémuriens malgaches ou les moutons du Yorkshire qu’à converser avec mes semi-compatriotes au sang tricolore – délaissés en des temps plus récents pour la compagnie des pinipèdes San Franciscains et des félins Tokyoïtes – a contribué à creuser un écart d’aisance inopportun bien qu’a priori indécelable à l’écrit, dans l’usage de cette langue.
Par exemple, comment pourriez vous savoir, innocent lecteur, que je viens de passer plus d’une demi-heure à chercher vainement une traduction satisfaisante de l’adjectif « tone-deaf », quelques paragraphes plus haut. Imaginez la frustration de l’auteur pusillanime en quête perpétuelle du mot exact et ajoutez-y le désespoir impuissant du traducteur face aux limites de son art: on a vu artiste se suicider pour moindre prétexte.
C’est donc avec l’espoir secret de triompher de ces difficultés que je m’engage sur la voie bloguistique francophone.
Maintenant que l’on a couvert le Pourquoi de l’auteur, reste à couvrir le Pourquoi du lecteur. Autrement dit: pourquoi consacrer à la lecture de ces lignes un temps précieux qui bénéficierait tout autant à des ébats – reproductifs ou non – avec votre compagne, compagnon ou animal de compagnie favori(te)…
Pour cela, j’ai puisé mon inspiration directe dans les commentaires du bien trop regretté André Malraux, dont ni le piètre talent littéraire, ni une quelconque aptitude sexuelle au dessus de la moyenne, ne semblent pouvoir justifier son ascension politique fulgurante sous la Vème République: preuve qu’à défaut d’autre chose, il ne devait pas être si con. Malraux, donc, écrivait que la destinée humaine pouvait se résumer à ses deux humeurs caractéristiques, en dehors desquelles nulle littérature digne de ce nom ne pouvait exister: le sperme et le sang… Eros, Thanatos, tout ça.
Rapidement, je récapitule pour ceux de mes lecteurs dont je sens vaciller l’intérêt déjà faible que leurs prêtent les dernières recherches en clickologie internètique:
Dans ce blog, on va parler de violence et de cul.
Bien entendu, ma nature discrète et raffinée me portant à une certaine modestie vis-à-vis des aventures de mon propre cul, je serai contraint d’étaler au grand jour les frasques des membres directs de mon entourage, avec une absence de scrupule à la mesure de leur incapacité à lire la magnifique langue dans laquelle je m’exprime présentement.
Pour la violence, je sais pas encore. Mais je possède un hamster nain et une superbe collection de couteaux de cuisine japonais: on pourra toujours improviser plus tard si nécessaire.
Bon, tout cela aurait probablement pu se résumer à un simple « Bienvenue dans mon humble demeure », mais je fais super mal Bela Lugosi en français avec l’accent roumain.
J’approuve! J’approuve!
Commentaire by Stephanie Booth — 27 septembre 2005 @ 4:27
Dave en VF
Le problème avec l’écriture en général, c’est les lecteurs. C’est pourquoi j’ai décidé de commencer simple. C’est à dire sans lecteurs. On ne peut jamais faire trop simple quand on écrit. [Docteur Dave, qui vient d’ouvrir un blogue e…
Rétrolien by Embruns > Journal de bord — 27 septembre 2005 @ 4:31
Je suis restée jusqu’au bout et je ne regrette pas. Heureuse de vous découvrir. On va parler de violence et de cul, dites-vous, et d’un hamster. Je connais un bloggueur qui aurait pu en dire autant, mais j’en parlerai quand nous nous connaitrons mieux. Pour l’instant, la courtoisie internetique consiste pour moi à vous souhaiter la bienvenue dans mon ecran.
« Amicalement »
RGNN
Commentaire by Rhagnagna — 27 septembre 2005 @ 5:04
De violence et de cul.
Je m’étais fait une idée différente de ton personnage, assis dans l’herbe, sous un grand ciel bleu d’automne, un certain dimanche de pique-nique.
Etrange. Amusant.
Au moment de valider ce commentaire je m’aperçois qu’il faut ici « Soumettre la requête ».
De violence et de cul…ture!
Commentaire by Shaggoo — 27 septembre 2005 @ 5:21
Plus que bienvenue, il n’y a aucune nécessité de publier en anglais comme de publier en français, mais si tu y trouves plaisir grand bien en fasse à tes non lecteurs.
Commentaire by karl — 27 septembre 2005 @ 5:30
Heureux de pouvoir te lire sans faire l’effort d’une traduction poussive et pénible dans mon cerveau embrumé! Car un bon lecteur est d’abord et avant tout un lecteur soumis et docile. Et aviné aussi. Enfin à cette heure du moins 🙂
Commentaire by Georges — 27 septembre 2005 @ 6:32
Et bien… je ne te connais pas, mais pour rester au même niveau litéraire que ton billet, et si cela peut t’être utile pour te rassurer sur l’inquiétude ayant motivé tout ceci : « tu causes vachement bien »
Commentaire by François — 27 septembre 2005 @ 7:27
La plume et le programme sont excellents. Tu vas avoir plein de problèmes. Euh, plein de lecteurs ;-).
Commentaire by padawan — 27 septembre 2005 @ 4:56
neuro a tjs les meilleurs links! =)
à quoi ça sert d’acheter l’intégrale des achille talon?
je vais venir ici tous les jours, comme ça j’aurai ma dose! mais où est donc ce cuistre de lefuneste?
chapeau bas!
irmou-
Commentaire by irmou- — 27 septembre 2005 @ 5:20
Sans ?
Mon cher ami Dave commence un blog en français, simple et sans lecteurs.
Cest logique, nest-ce pas : nimporte quel nouveau blog démarre sans lecteurs. On définira donc une fonction sans(blog(auteur)) (un auteur pouvant en avoir plusieurs, e…
Rétrolien by Dangereuse Trilingue — 27 septembre 2005 @ 5:58
Force est de constater que la langue pratiquée ici nous éloigne des approximations syntaxiques et des orthographes défaillantes de la plupart de ces objets littéraires non indentifiés que sont les blogs.
Un lecteur averti évoque Achille Talon, oserais-je Flaubert? « Currente calamo, c’est l’excuse pour les fautes de style ou d’orthographe », disait le cher homme à propos de l’écriture: continuez de prendre votre temps, c’est si bon de lire enfin de la bonne et belle langue. Belle langue dont on ne doute pas qu’elle léchera le cul dont il sera question, nous dit-on, avec une vivacité et une ardeur dignes du Divin Marquis!
Bon là je m’emballe.
Tout ça pour dire que vous écrivez vachement bien et drôle.
A bientôt de vous lire.
Commentaire by Briscard — 27 septembre 2005 @ 7:40
C’est bien joli de placer « icelle » ou « pusillanime » dans son texte, mais nous donneras-tu du placer « oncques » dans ton prochain post ? 😉
Bienvenue dos maison, Dr. Dave ! 🙂
Commentaire by Xavier — 28 septembre 2005 @ 8:37
[…] parle cul, justement: vos commentaires, là… Il va falloir se calmer. Je suis à peine arrivé, c’est déjà l’orgie; je […]
Ping by L’Automne à Paris » Courrier des Lecteurs — 5 décembre 2009 @ 12:05
[…] Si j’écris, c’est surtout pour moi même, et un peu à cause des autres. Au fond, mes raisons n’ont pas trop changé. […]
Ping by L’Automne à Paris » Le Dernier des Blogueurs… — 26 juillet 2012 @ 2:57