Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…
22 juillet 2014
C’est Shizu qui l’avait repérée la première : une petite araignée qui profitait de mon épaule accueillante pour faire un tour en ville sans payer son ticket de train. Rien de surprenant, après une après-midi à faire les idiots dans l’herbe de Yoyogi.
Elle avait l’air plutôt paisible. Ou plutôt il avait l’air paisible, puisque, hors présence de locuteurs méditerranéens, je refuse toujours de me plier à la dictature de ces tournures grammaticales genrées françaises qui font fi des plus élémentaires notions de biologie et de logique pour attribuer un sexe unique et arbitraire à une espèce entière (quand j’était petit, je ne comprenais absolument pas pourquoi ma petite cousine françouillaise s’entêtait à penser que le mari de Madame Grenouille, c’était Monsieur Crapaud, alors que Monsieur Grenouille semblait un candidat beaucoup plus logique, compte tenu des coutumes administratives en matière de partage des noms entre époux). J’étais occupé à compter ses pattes et ses yeux, pendant que Shizu et Chiho tergiversaient sur la signification profonde de ce présage dans la culture locale, s’accordant finalement pour une condamnation à mort de l’arachnide voyageur, au motif qu’il faisait déjà nuit, et que tout le monde sait que les araignées du soir sont signe de malchance. Alors que le matin, oui, c’est bon signe.
Apparemment, les petits vieux qui occupent leur soirées d’hiver à fabriquer des dictons à la con ne se concertent pas entre pays, fût-ce pour éviter de se contredire aussi sottement. Peut-être une question de fuseau horaire.
(more…)
14 avril 2007
Coincidence is God’s way of remaining anonymous
Ce petit symbole tatoué discrètement sur un bout de ta peau, je ne l’ai pas oublié.
Sa forme, en tout cas, puisque tu n’as jamais eu le temps de m’expliquer sa signification. Mais j’aurais presque pu le retracer de mémoire.
De passage à Paris l’été suivant, je l’ai reconnu immédiatement quand je suis tombé dessus, au milieu d’une centaine d’autres idéogrammes tout aussi abscons mais moins familiers. C’était dans une minuscule boutique désordonnée près de la rue Mouffetard, pas loin d’un endroit que nous avions bien connu, où s’amoncelaient des marchandises provenant sans doute des quatre coins de l’Asie via le deuxième arrondissement. J’y cherchais une sacoche propre à remplacer la précédente, qui n’avait pas survécu à mes derniers voyages. Celle que j’achetai ce jour-là était brodé de ce même petit signe asiatique qui semblait tant te tenir à coeur. Je voulais toujours savoir. C’était facile: la boutiquière, qui parlait à l’évidence mieux cantonais que français, m’aurait certainement renseigné en un battement de cil. Mais je ne lui ai pas demandé, ni à aucune autre personne par la suite. J’avais ce sac et je l’aimais bien: il me rappelait la part de toi dont je voulais me souvenir.
C’est une étudiante chinoise, dans la file d’attente du service des visas de l’ambassade où nous attendions, qui m’a demandé en anglais si je savais ce que voulait dire cette inscription sur mon sac. Elle avait l’air un peu surprise. Je pensais qu’elle voulait simplement engager la conversation, faire passer le temps. Mais elle a hésité, pris soin dans le choix de ses mots, pour tenter de m’expliquer ces douze petits coups de pinceau: leur signification, leur signifiant, leur signifié. Et bien sûr, ce fut lumineux et évident comme il ne pouvait pas en être autrement.
Tu avais raison, Il n’existe probablement pas. Et quand bien même, quelle importance. Ce qui compte, ce n’est ni le départ, ni l’arrivée, mais le chemin qu’on choisit. Ceux que l’on ne choisit pas aussi. C’est l’essence de ce chemin qui fait ce que nous sommes et c’est le choix de ses embranchements qui définit tout ce qui nous entoure, à l’intérieur comme à l’extérieur. rien d’autre.
31 mars 2007
Il y a sept ans, Stella est morte.
C’est pas très beau, ça comme phrase. C’est cru, ça manque d’euphémisme poétique, de distance stylistique… Mais justement, je n’ai pas envie de faire du style ce soir.
Sept ans, c’est long. Suffisamment long pour que le souvenir s’en perde presque derrière l’horizon du chemin parcouru depuis. Trop vivide et lointain à la fois, ce souvenir. Je me demande parfois s’il s’agit de la même vie, s’il y a vraiment continuité entre ce début de printemps de la fin du dernier millénaire et le présent, alors que j’essaie de me remémorer des détails, d’année en année moins précis.
Mais en fait, les détails sont là, gravés et inamovibles dans le livret d’une histoire qui s’est rejouée des millions de fois dans ma tête depuis. Ce que j’ai peur d’oublier un jour, c’est les émotions, bonnes et mauvaises, qui se sont succédées. Ces émotions qui se désagrègent pour laisser place à de nouvelles émotions, plus récentes, moins douloureuses si possible, je vis dans la hantise de les perdre. Je m’y accroche comme on s’accrocherait aux maigres pièces à conviction d’une enquête qui n’a jamais abouti.
J’ai toujours pensé qu’avec le temps et le recul, en conservant bien tous ces souvenirs inchangés, alignés dans ma mémoire, je finirais forcément par en tirer une explication… Les sortant à intervalles réguliers, m’entêtant à les raviver, les examiner, les analyser, les ressasser, jusqu’à ce que je n’en puisse plus de tristesse et d’incompréhension et ne parvienne qu’à les remiser jusqu’à la fois suivante.
La vérité c’est que ce qui ne fait pas sens à un moment donné d’une vie, ne s’éclaircit jamais miraculeusement un beau jour, comme s’il avait fallu atteindre un âge donné pour que le déclic se produise. Ce genre de deus ex machina philosophique fumeux que l’on retrouve dans les oeuvres insipides d’écrivaillons paresseux, ça n’arrive jamais dans la vraie vie.
Il y a sept ans, Stella est morte. Pas moi. Je cherche toujours la morale que l’ordre cosmique aurait voulu m’inculquer ce jour-là. Je ne crois pas qu’elle existe.
(more…)
11 mars 2006
On était un peu des jumeaux qui n’auraient pas grandi ensemble. Munis de notre propre langage: une bouillie linguistique agrégée de nos langues respectives, remplie de références obscures et mal maîtrisées et surtout pleine de la maturité précoce, un rien mélancolique, des enfants qui ne le sont pas restés longtemps.
Nos histoires se ressemblaient sans avoir le moindre point commun, nous glissions dans le même courant d’eau, passant par les mêmes points à quelque temps d’écart. À Paris, bien sûr, où nous étions deux pions fraîchement posés sur l’échiquier, sur le point d’entamer la même partie. Puis Barcelone, Londres, la Californie…
Tu aurais aimé le Japon, je pense.
Quand tu avais décidé que les filles te plaisaient plus que les garçons, on en avait discuté comme s’il ne s’agissait guère que d’un arrangement d’emploi du temps: je t’accompagnerai dans ta découverte des bars lesbiens, tu viendrais voir avec moi à quoi ressemblaient les soirées hétéros. Mais à vrai dire, nous ne fîmes que bien peu d’incursions dans les beuveries quasi-adolescentes de nos camarades de classe: c’était bien plus intéressant de suivre les goudous du Marais, dont la fibre maternelle pas tout à fait désintéressée nous ouvrait des portes à peine soupçonnées à l’époque.
Ce matin là, rentrant d’une nuit de boulot et de club, quand je me suis arrêté au milieu de West Central et t’ai annoncé qu’il fallait que je change d’air, que j’allais rentrer prendre une douche et repartir directement à Heathrow, tu ne m’as même pas demandé pourquoi j’avais si subitement besoin de survoler l’Atlantique, un jeudi à six heures du matin, tu m’as juste souri en me disant à bientôt.
(more…)