Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

2 mai 2007

La malédiction de l’amnésique insouciant

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 12:01

Il y a une première fois pour tout.

Il y a une première fois pour passer une après-midi allongé sur les pelouses parfaites de Hampstead Heath, entre deux saules et un irréel ciel bleu ensoleillé d’avril, à caresser une tête posée sur sa poitrine. Faire des digressions ornithologiques stupides, s’oublier complètement, arrêter mollement les mains baladeuses sous l’oeil perçant des vieilles rombières assises au loin sous la véranda. En se disant que c’est ce moment qu’on a attendu toute sa vie, qu’il serait bon de geler la marche du temps à cet instant précis et ne plus en parler.

Il y a une première fois pour écrire une lettre longue et irréversible et l’envoyer en espérant de tout son cœur qu’elle se perdra en route. Une lettre qui s’attache à rester sans réponse, qui surveille qu’elle n’est pas suivie, qui brûle tous les ponts possibles derrière elle. Une lettre dans laquelle on a emballé quelques tranches de chair fraîchement arrachées de là où ça fait mal. L’ablation prémptive de tous les organes non-vitaux. Douloureuse mais salutaire. Mettre les fins avant les débuts, c’est encore la meilleur manière d’éviter les travers littéraires.

Il y a une première fois pour ressentir un vide oppressant là où rayonnait la boule de bonheur angoissé quelques instants auparavant. Se dire qu’on est passé juste à coté de la catastrophe. Tenter de se convaincre qu’il s’agit juste de calcul et de discipline. La discipline du choix qui fait mal et qui rend plus insensible à défaut de rendre plus fort. Vous croyez que Napoléon, Pol Pot ou Gengis Khan auraient changé la face du monde s’ils avaient baisé heureux tous les jours?

Évidemment, toutes ces premières fois n’en sont guère. Elles se répètent aussi rapidement qu’elles sont oubliées. C’est à dire déjà beaucoup trop souvent.

6 Comments »

  1. Oui… C’est Cioran qui disait: « Les seuls évènements notables d’une vie sont les ruptures. Ce sont elles aussi qui s’effacent en dernier de notre mémoire ».

    Comment par Briscard — 3 mai 2007 @ 10:40

  2. Quelle drôle de chose la vie… j’étais persuadé avoir laissé ce commentaire sur Coïncidences III… qui indique d’ailleurs « 4 commentaires » là où il n’y en a plus que trois… mais il va bien ici aussi ce commentaire… oui, mieux, même peut-être… même s’il marche aussi sur CoIncidences… Quand même Cioran, c’est bien étrange…

    Comment par Briscard — 3 mai 2007 @ 11:40

  3. Briscard

    Tu n’as pas totalement rêvé… C’est bien moi qui ai manuellement déplacé ton commentaire. Initialement en pensant qu’il s’agissait d’une fausse manœuvre de ta part, mais à défaut, on peut aussi en faire ma façon d’apporter un léger rectificatif dû à mon propre manque de clarté (ou alors je n’ai peut-être pas compris ce que tu voulais dire). Celle dont il fut question dans les précédents billets n’était pas une compagne, en tout cas pas au sens affectif du terme. Pas de rupture donc, juste la perte d’une sœur de sang…

    Quant à Cioran : oui, c’est bien étrange. Et souvent juste. Si seulement cet homme avait pu avoir le cynisme un peu moins fasciste, je pense qu’on aurait pu bien s’entendre…

    Comment par Dave A. — 3 mai 2007 @ 4:05

  4. Ah, je n’avais donc pas rêvé! Et j’avais bien compris la « soeur de sang » … et qu’importe la « rupture » pourvu qu’on ait le souvenir… Mais tu as bien fait. Très bien fait.
    Sinon pour Cioran, j’ai du mal à apercevoir le côté fasciste de son cynisme par ailleurs souvent tempéré par une bonne dose de désespoir (plus affecté que Nietzsche, faut reconnaître). Je parlerai plutôt de cynisme méprisant, ce qui peut être fascisant. Mais pas forcément. Celà dit je ne suis exégète ni de l’oeuvre ni de l’homme, et peut-être quelques propos m’ont échappé…

    Comment par Briscard — 3 mai 2007 @ 4:27

  5. Oh, je n’entendais pas insinuer que le cynisme mène nécessairement au fascisme, loin s’en faut. Pour Cioran, je me souviens, un peu vaguement certes, avoir lu plus d’un passage chez lui vantant une certaine esthétique de la cuirasse de fer telle qu’on la portait dans ces années glorieuses.
    Un tour sur la Wikipédie semble confirmer qu’il afficha une exquise compréhension pour certains politiciens un peu extrêmistes sur les bords (surtout le bord droit)… Sympathies dont il chercha un peu tardivement à expurger son œuvre, sans franchement les renier.

    Mais à la rigueur, contrairement à Céline, qui avait la haine plutôt misérable et mesquine, je trouve les dérives de Cioran pleines d’enseignements pour quiconque se sent entouré par les cons au point parfois de se laisser aller à révasser à leur mise en esclavage pour le bien de l’espèce. Cioran constitue un assez frappant avertissement à cet égard.

    Comment par Dave A. — 3 mai 2007 @ 10:31

  6. comme c’est bon d’etre assise dans un coin paisible ,attendre les mots ,(parcqu’ils sont attendus vos textes, oui oui!),puis les savourer et voir se rajouter les commentaires, et les deguster aussi.
    sinon,
    « revasser à la mise en esclavage des cons pour le bien de l’espéce »
    euh!!!comment vous dire,là ,observer une grde vigilance,ok, oui,..

    Comment par m. — 4 mai 2007 @ 12:02

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et ignotas animum dimittit in artes