« C’est la faute du chat… »
[…]
« C’est le chat qui… »
[…]
« Quinze minutes? Oui, mais là c’est à cause du chat, tu comprends il a… »
[…]
Pour la première fois peut-être de toute ma misérable existence de retardataire chronique, je possède une excuse valide et véridique… Et par sa seule présence dans l’équation, ce veule félin la transforme en farce de grand boulevard à la crédibilité digne d’un scénario de film français contemporain.
Pourtant est-ce ma faute si c’est ce matin là, lors même que je m’apprêtais à dévaler l’escalier pour me rendre au point de rendez-vous convenu, que cette vessie sur pattes a choisi de pisser aux quatre coins de la cuisine?
Pour être authentique, l’excuse n’en est pas moins dénuée de toute la dignité nécessaire à ce genre de situation. J’en ai pleinement conscience, croyez le bien. Et si les développements potentiels cocasses d’un tel incipit ne m’échappent pas, le rictus nerveux qui accompagne ma réflexion est surtout dû au manque d’oxygène, à mi-chemin de cette putain de rue Saint-André-des-Arts qui n’en finit pas de dérouler son odeur de frite froide dans le petit matin déjà chaud.
A l’évidence, la psychologie féminine dans son ensemble m’est plutôt étrangère. Une seule chose, gravée au fond de mes neurones à coups de regards noirs acérés comme des pics à glace… En toute occasion et sans exception, il est deux sujets dont l’on ne plaisante jamais avec une femme: les fluctuation de tour de taille (les siennes) et les retards (les siens).
De toutes manières, j’arrive presque à la fin de mon 600 mètres haies, il ne me reste que quelques secondes pour préparer mentalement ma dogeza. Sur le goudron râpeux du boulevard Saint Michel, ça risque de faire mal aux genoux. Mais moins mal qu’un katana entre les omoplates. Résigné, je parcours les derniers mètres le souffle court, mais l’âme en paix.
Je débouche enfin sur la place Saint Michel: quasiment déserte à cette heure-ci, impossible de la manquer. Elle ne m’a pas vu arriver, elle est assise près de la fontaine, elle peint. Quelques tubes et une large feuille posés sur sa valise en guise de chevalet, pas de pinceau, appliquant des petites trainées de gouache avec ses doigts, elle se sourit à elle même, comme une enfant un peu simple qui jouerait avec une flaque d’eau. Une flaque dont les gouttelettes s’organiseraient spontanément pour dépeindre la plus éblouissante rossée d’ange déchue jamais esquissée au coin d’une Samsonite.
Je m’approche, elle relève la tête et me sourit carrément, m’embrasse sur chaque joue, dépose quelques pigments multicolores sur mes tempes, me dit qu’elle aime bien Paris, part se rincer les doigts dans le bassin.
Évidemment, à ce moment, j’étais bien trop occupé à ramasser les morceaux épars de mon fragile palpitant aux quatre coins de la place pour m’apercevoir qu’il y avait tromperie sur la marchandise. Le contrat stipulait clairement une scène extra-ménagère ou approchant. À tout le moins un accueil suffisamment rafraîchissant pour m’assister dans ma Mission.
La Mission, ne pas perdre de vue la Mission: Pas de sentiments.
Des hormones, à la rigueur… Oui, certainement beaucoup d’hormones – on n’est qu’humain après tout.
Mais pas de sentiments.
Tiens, d’ailleurs, pourquoi? Je suis sûr qu’il y avait une raison, mais là, non, je vois pas… Ça va me revenir, j’en suis sûr.
Et pour revenir, ça revient.
Pas tout de suite, bien sûr. Pendant quelques heures, ça continue comme ça n’aurait même pas dû commencer: pieds-joints au dessus de la Seine, à cloche-pieds sur les pavés, sillonnant les quartiers pittoresques et prenant soin d’éviter cette petite ruelle sombre où mon myocarde est occupé à tabasser mon cortex cérébral tout en lui tenant la tête sous un bain d’adrénaline, sous l’oeil approbateur d’une paire de truands rondouillards et concupiscent, prêts à aider s’il le faut…
Comme si tout était calculé, l’orage éclate à l’instant précis où il n’y a plus l’ombre d’un cumulo-nimbus à l’horizon. Quand tous les éléments semblent s’être donnés le mot pour coller le plus près possible à un parfait romantisme niais de carte postale.
Est-ce l’évocation d’un souvenir qui fâche? la fatigue et le décalage horaire qui prennent soudain leur revanche? ou juste le fait que le soleil refuse obstinément de se coucher du bon coté de la butte Montmartre? La raison importe peu, puisqu’immédiatement le ton monte, rapidement chaque camp se retranche dans sa langue d’altercation favorite, les phrases pleuvent, les blessés sont évacués.
Ensuite, les larmes. Debout comme un imbécile au milieu de la rue des Martyrs, entourant ses épaules d’un bras maladroit, cherchant des yeux le réalisateur de ce navet pour lui faire bouffer ses caméras, honte de faire figure de bourreau domestique auprès des passants, encore plus honte d’avoir ce genre de préoccupation à l’esprit…
Mais au fond, je suis lâchement soulagé que rien n’ait changé…
Ça ne s’arrête pas là, naturellement: plusieurs fois, les journées se renouvellent, s’alternent, s’entremêlent, se réveillent sur le même oreiller… Et tout au long, la certitude d’une échéance inéluctable et proche se fait de plus en plus rassurante.
Elle a repris son avion en riant: le cycle était bouclé mais je n’ai pas réussi à me débarrasser de ce satané pincement au coeur.
A l’époque où je l’avais rencontré, du français dont elle ne parlait pas un mot, elle connaissait une seule expression, qu’elle adorait: Être sur la même longueur d’onde.
« Je suis sur la même longueur d’onde… »
« Nous sommes sur la même longueur d’onde… »
« Nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde… »
C’est vrai que c’est une expression inouïe.
Bravo!
Je suis un lecteur occasionnel de votre blog, et ai à quelques reprises failli y laisser un message, mais là je craque. Ce texte est excellent, drôle et émouvant à la fois et m’a permis de revivre quelques « retours de flamme » pour reprendre votre expression si juste.
Merci pour ce blog.
FéliX
PS, si par hasard un jour vous découvriez une hypothétique longueur d’onde que les hommes et les femmes peuvent partager sans grésillements, perturbations ou autres explosions, merci de me le faire savoir. Croyez bien que je m’engage sur l’honneur à vous communiquer ce renseignement si d’aventure il tombait en ma possession.
Comment par felixnemrod — 19 mai 2006 @ 2:16
Merci pour le gentil commentaire…
Quant aux recherche en matière de longueur d’onde féminine… Je pense que la réponse se situe quelque part du coté de la physique quantique et n’est pas sans rapport avec un certain Heisenberg qui avait compris les femmes bien avant son temps quand il posa son fameux principe…
Comment par dr Dave — 2 juin 2006 @ 1:56