Le Réveil
Trois claquements de main.
Pesants, lents, prégnants.
Blanche. Demi-pause. Blanche. Demi-pause. Blanche.
Trois coups du brigadier, puis, quelques secondes plus tard, en guise de lever de rideau : la lumière crue qui inonde le dortoir.
Stimulus-réponse pour rats de dortoir pavloviens. Tous les matins sans exception. Aujourd’hui encore, il me suffit d’entendre, ou de croire entendre, ces trois claquements de main pour me redresser d’un bond dans mon lit en cherchant des yeux ma trousse de toilette et ma serviette.
Celle qui claque des mains, c’est Mme Whitman. Un traitement de faveur réservé aux « petits ». L’année prochaine, chez les grands, c’est au mieux un aboiement peu amène du pion qui précédera l’allumage général au dessus des lits. C’est elle aussi dont les talons résonnant lourdement sur le parquet annoncent aux plus somnolents qu’un appel de leur nom est imminent, suivi d’une invitation sèche à s’extraire séance tenante du confort de la couverture où ils se sont réfugiés dans le vain espoir d’y prolonger leur nuit de quelques minutes. C’est elle qui contrôle que la routine matinale se déroule sans accroc, que pas une étape n’est grillée par quiconque, pas un coin de lit non bordé, une dent non brossée, un cheveu non coiffé, un ongle non récuré, une chemise non rentrée… En temps limité bien sûr, puisqu’à sept heures sans faute, c’est le signal du départ vers le réfectoire, en file et au pas cadencé.
Comme la plupart, j’ai vite évalué les deux scénarios possibles pour la routine du matin.
D’un coté, les plus rapides sont au pied de leur lit avant même le troisième coup, leurs vêtements, préparés avec minutie la veille, sont enfilés et noués en un quart de seconde, premiers au lavabo, premiers sortis, premiers en ligne pour descendre au réfectoire, premiers servis, premiers sortis, heureux possesseurs d’une demi-heure de quiétude non-supervisée arrachée aux rigueurs de l’emploi du temps.
À l’opposé : ceux qui grappillent quelques minutes de sommeil supplémentaire dans l’agitation du réveil général, s’étirent, baillent, observent leurs voisins d’un oeil endormi, baillent à nouveau, vont passer dix minutes aux toilettes avec quelques revues planquées sous leur pyjama, finissent de s’habiller dans un dortoir quasiment désert pour finalement se rendre d’un pas tranquille au réfectoire, juste à temps pour la fin du deuxième service, qu’ils finissent d’avaler en chemin vers l’étude du matin.
Entre les deux, il y a la masse de ceux qui ne sont jamais ni en avance, ni en retard, ceux qui doivent faire la queue partout, ceux qui attendent en ligne pour se laver, pour aller pisser, pour manger, pour être reservis : les imbéciles et les nouveaux.
Je crois qu’une fois le truc compris, je devais me situer plutôt dans la première catégorie au début, puis les années suivantes j’ai alterné un peu suivant les saisons.
La Neige
Il existe un – et un seul – motif d’exception au déroulement mécanique des matins ordinaires : la neige.
En quantité suffisante, bien sûr. Quelques misérables flocons éparpillés dans les champs et rapidement écartés des routes par les premières automobiles du matin, ne sauraient constituer au mieux que cause à quelques absences ou menus retards parmi le corps professoral. Maigre motif de satisfaction. Mais pour peu qu’une bonne tempête de neige ait plongé nos modestes hauteurs dans un quasi-isolement digne des racines monastiques de l’endroit, c’est toute la journée qui s’en trouve chamboulée.
Parfois repérés à l’avance et répandus au sein du dortoir par chuchotements excités avant même le réveil officiel, les jours de neige sont officialisés par Mme Whitman elle même, dont les rarissimes retards ne peuvent signifier qu’une chose : l’état des routes est tel qu’elle a dû parcourir à pieds le kilomètre-et-demi la séparant du collège. Et dans ces cas-là, il ne faut pas s’attendre à voir arriver qui que ce soit d’autre pour la journée. Des routes impraticables garantissent non seulement l’absence des nombreux professeurs dont la détermination à braver les éléments pour faire classe n’est guère supérieure à la nôtre, mais surtout, celle des cars scolaires et, avec eux, la quasi-totalité des demi-pensionnaires, ces nantis géographiques dont l’absence nous soude plus encore dans l’appréciation de ces journées inhabituelles et exquises.
Il arrive même que l’allumage des lumière et le réveil lui-même se trouvent retardés par décision de Mme Whitman. Accès de bonté ou nécessité de laisser à l’ouvrier de service le temps de dégeler les canalisations des lavabos. Ou bien c’est au réfectoire que nous nous voyons octroyer une heure de plus pour déguster une ration supplémentaire générale de chocolat au lait. Lait dont l’approvisionnement est lui même garanti par la proximité des vaches que nous voyons paître en été dans les collines environnantes.
Tellement heureux d’avoir échappé à la routine pour une journée complète, qu’on en oublirait presque les nuages de vapeurs qui s’échappent avec chaque respiration et les parkas qu’il nous faut enfiler sur nos pyjamas pour aller nous brosser les dents.
Ça, on peut dire qu’on en a passé des soirées d’hiver, perdus en conjectures sur la probabilité de chutes importantes pendant la nuit. Météorologues amateurs interprétant la moindre forme de cumulo-nimbus, suivant avec intérêt l’évolution des courbe de températures dûment historiées pour les trois semaines précédentes, confrontant les nouvelles glanées auprès des demi-pensionnaires, débattant pour savoir duquel des lointains patelins dont proviennent ces informations, notre bout de montagne depend le plus climatiquement parlant.
Depuis cette époque et encore maintenant, quel que soit l’endroit, quelles que soient les conditions, même si ça veut dire que c’est chez moi que les canalisations explosent ou qu’il faut aller travailler en après-ski en pataugeant dans de la boue blanchâtre le long d’un boulevard, la vision au réveil du moindre flocon de neige par ma fenêtre me rend stupidement extatique.
Merde. La vache. Tu te fiches pas du lecteur: tes morceaux auto-postés, c’est pas du surgelé de chez Picard. Merci. J’préviens les copains…
Commentaire by briscard — 18 juin 2007 @ 9:18
et on arrive au pas de course.
j’avais vu le precedent texte auto posté,je pensais devoir attendre le suivant ,beaucoup plus…même pas!
comme d’habitude,c’est pour ça qu’on est là,encore et encore,patients et impatients ,pour l’écriture qui se fait oublier, et pour le voyage qui commence alors.
comme c’est bon,de se rendre compte que votre flocon de neige en rejoint d’autres.
merci Dr Dave!!!!
Commentaire by m. — 18 juin 2007 @ 10:11
Ce Dave là est un talent sur pattes.
Je l’aime beaucoup ce diablotin là ! 🙂
Commentaire by Shaggoo — 19 juin 2007 @ 7:59
Merci pour ce très beau texte.
En espérant que vous verrez encore de très nombreux matins blancs,
Bien amicalement,
FéliX
Commentaire by felixnemrod — 21 juin 2007 @ 10:15