Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…
19 juillet 2014
On prenait tranquillement le thé dans un salon un peu guindé de Ginza, quand Eiko m’a demandé si je l’accompagnerais pas à sa première soirée fétichiste. Une vraie, avec du S, du M, du Q et un demi alphabet d’autres déviances sexuelles. Sur l’instant, je me tâtais un peu. Principalement parce que je n’étais vraiment pas habillé pour l’occasion et je portais la paire de Ferragamo que j’aime bien. En plus, le sexe d’après-midi, c’est comme le petit-déjeuner : plus plaisant en nombre restreint et à proximité d’un lit.
Renseignement pris, j’avais une semaine pour trouver quelque chose de moins coûteux et plus facile à ravoir à l’eau de javel que le cuir italien.
À part ça, j’étais partant. C’est d’ailleurs probablement pour ça qu’Eiko m’avait demandé, en dépit du caractère raisonablement peu dévêtu de nos sorties nocturnes habituelles : je suis toujours partant. Surtout quand il s’agit de porter des costumes et s’adonner à des activités douteuses voire illégales. Heureusement que j’habite pas dans le Mississipi des années 60 : sur un malentendu, je me serais probablement retrouvé avec un drap de lit sur la tête en train de mettre le feu à des églises Afro-américaines.
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1 mars 2011
Kinbaku-bi pourrait se traduire par «l’esthétique des liens étroits».
Les liens, Naoko les aiment enroulés autour de son corps dans des motifs élaborés et asymétriques.
L’art des cordes japonaises n’est pas qu’un érotisme de contrôle et de soumission. Pour celui qui arrange les cordes, c’est aussi un plaisir esthétique. Et pour elle ?
Elle sourit : sentir des cordes comprimer ses seins et mordre dans son intimité lui apporte plus de plaisir que bien des hommes, moins adroits mais pas moins fiers de leur pauvre petite ficelle.
Naoko pratique avec passion le tsuri : la suspension par des cordes qui l’attachent à une poutre ou une poulie, son propre poids agissant alors sur la tension des liens. Comme un oiseau pris dans un filet qui ne se débattrait pas. Avec sa moue excitée et ses yeux aiguisés, Naoko ressemble plus à un petit tigre asiatique qu’à un oiseau tropical.
En cherchant des toilettes à l’étage, je pousse la porte entrouverte d’une des chambres. La jeune fille assise sur le bord du lit m’invite à rentrer d’une voix douce et me verse une tasse de thé noir comme si elle m’attendait depuis le début de la soirée.
La chambre est tapissée du seul motif mural dont l’on ne se lasse jamais : des rangées de livres du plancher au plafond. Je jette des regards envieux vers cette bibliothèque de sédentaire et attrape quelques volumes au hasard. Nous discutons de Dostoïevski, du peu d’estime qu’elle a pour ses traducteurs, de l’insistance de Tolstoï à écrire tous ses dialogues en français dans le texte. Ses pommettes rouges et sa figure de paysanne slave étonnent sous son accent oxfordien, mais se retrouvent dans une même rondeur apaisante.
En bas, Paulina est assise en travers du fauteuil dans une pose où la nonchalance le dispute à l’impudeur. Elle n’est pas particulièrement jolie, mais son excitation palpable pour la discussion et les éclats de son rire puissant et un peu rauque lui confèrent une crudité érotique hors d’atteinte des jeunes filles alentours, tout en traits raffinés, maquillage et dentelle. Qui eût cru qu’une dissertation alcoolisée sur la gnose puisse à ce point exciter les sens.
Perdu en songerie sur l’insondable multitude du genre féminin et l’énumération sysiphienne de ses déclinaisons, je me sentirais presque des velléités de philatéliste amateur.
8 juillet 2010
Vu d’en haut, le combat pour la nuit berlinoise est bien inégal.
Dans les rues, une obscurité tellement glaciale qu’elle étouffe sans difficulté la lueur chétive des réverbères au gaz, assiège les dernières poches de résistance autour d’Alexanderplatz et Prenzlauer. A hauteur d’yeux, dans la distance, quelques néons commerciaux marquent sans entrain les rares gratte-ciels de la ville. La Fernsehturm avec son profile incongru de film SF des années 50 en serait presque rendue digne… Au milieu : des flocons en suspension s’attardent à quelques mètres de la baie vitrée, transformée en vue aquatique des profondeurs…
Le restaurant qui s’étale dans mon dos est typique des goûts d’Erik: sophistiqué, cher et culinairement médiocre. De longues listes d’ingrédients faussement exotiques maquillent l’indigence de la carte, tandis que la fraicheur des mojitos et le décolleté des hôtesses s’efforcent de palier au reste. Pour la plupart des convives, il s’agit surtout de donner un prétexte à quelques aller-retours de fourchette entre deux cocktails. Je me suis levé au détour d’un battement de conversation, sans m’encombrer d’excuses auprès d’Anja qui ne s’en est guère émue. La bienséance n’est qu’une convention érigée pour ostraciser les rustres ; entre gens de bonne compagnie, toute politesse est superflue.
Tout à ma contemplation du ballet météorologique, j’essaie de déceler les symptômes d’un accès de misanthropie comme ces réunions en provoquent assez souvent chez moi, mais étrangement non, ce soir je suis plutôt en paix avec l’humanité.
Je regarde Erik échanger avec sa mère dans un allemand hésitant, passer au français, qu’elle maîtrise mal, puis finalement à l’anglais, compromis impersonnel mais efficace. Les mots langue maternelle, et toute la symbolique de son absence, s’imposent d’eux même. Muttersprache. Mother tongue. Charlotte, qui a grandit à Boston, parle très bien le français maintenant, quoiqu’avec un léger accent vaudois. Roman me rejoint devant la vitre et me tends nonchalamment quelques flocons que j’écrase entre deux pièces d’un euro. Là encore, l’ironie du symbole m’effleure. J’aspire mes deux euros, prends la cigarette que Roman m’a allumée et regarde son reflet jouer à poser son chapeau sur ma tête.
Malgré notre tendresse les uns pour les autres, il y a bien longtemps que nous n’avons plus grand chose en commun, ni par les goûts ni par les préoccupations, ni même par les ambitions. Et pourtant tout semble naturel, fluide, familier et presque confortable. C’est peut-être ça, l’atavisme.
[audio:BesteFreundin.mp3]
24 juin 2007
Alors : la bonne (?) nouvelle, c’est que je suis arrivé à ma destination finale et ai, de ce fait, regagné plein accès aux merveilleuses technologies de l’interweb. La mauvaise, c’est qu’étant extrêmement radin parcimonieux de nature, j’en ai profité pour remballer l’autre billet auto-posté dont l’apparition quasi-magique était prévue pour hier matin. Je sais c’est fourbe, mais je le garde bien au chaud dans mon escarcelle pour des temps de disette, on sait jamais.
En contrepartie, je vais tenter de faire un effort cet été pour vous filer du frais au-jour-le-jour, profitant du cadre de vie exotiquement orientalisant qui sera le mien pour les quelques mois à venir. Du quotidien, comme par exemple les étranges événements qui ont précédé à ma présente rentrée casanière matutinale : sobre comme un champ de blé mormon malgré les forts relents de savane matinés d’arôme de tabac froid sauvage émanant de ma chemise et possesseur bien malgré moi d’une petite culotte en dentelle rose bonbon, enfouie – je crois – dans la poche gauche de mon pantalon. Je vous jure, il y a une explication quasiment décente à tout cela. On verra si elle mérite d’y consacrer un billet. Probablement pas.
Pour commencer, quelques notes de voyage des dix derniers jours devraient arriver prochainement. En tout cas dés que j’ai trouvé une sortie USB sur mon satané Moleskine.
Sur ce, bonne nuit tout le monde.
15 janvier 2007
J’ai beau essayer le zen, la quête du satori, la mort lente par agonie des neurones.
Le calme me fait peur, je n’y peux rien, c’est comme ça. L’anxiété sociale, la peur du vide, Qualche volta, quest’oscurità, questo silenzio, mi pesano… Tout ça…
Alors du coup, un peu comme les héros shakespeariens qui redeviennent lucides cinq minutes avant leur mort, les journées d’agitation totale me donnent toujours un paradoxal sentiment de liberté et de champ des possibles quasi-infini.
Je crois que c’est pour ça que j’aime bien le dernier jour de l’année. Pas parce qu’un corps céleste est sur le point d’accomplir sa millionième-et-quelques révolution autour d’un des milliards d’astres de la galaxie, pas parce que le petit Jésus s’est fait couper le bout de la zigounette 2007 ans plus tôt, pas même parce que c’est le jour où le dernier des connards se sent forcé d’enfiler un chapeau en carton en sirotant des bulles pour faire oublier qu’il passe les 364 autres soirées de l’année à roter sa kro’ sur son canapé devant TF1… J’aime le 31 décembre, parce que c’est un des jours où j’apprécie le plus de ne rien faire d’important. Je prends mon temps ce jour-là, et chacune des petites activités banales auxquelles je m’adonne a le goût des occupations plus solennelles dont elle prend la place.
Bien sûr, je ne passe pas (toute) ma journée à rêvasser sans but en relisant les livres que je n’ai presque plus le temps d’ouvrir ces jours-ci. J’aime bien profiter de l’occasion pour contacter les amis que je ne peux me résoudre à laisser filer complètement comme du sable entre les putains de griffes du temps qui passe. J’aime bien les inviter à aller prendre un café et reprendre les discussions au point où nous les avons laissées un ou dix ans plus tôt.
Pendant le dîner, on a parlé des cinq dernières années de la vie de nos alter-egos respectifs : ceux qui vivent dans une dimension parallèle où les maisons sont peintes par Caravage, les dialogues écrits par un écrivain fou et les chats se déplacent sur des échasses.
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28 août 2006
A l’issue de ce week–end, quelques rapides conclusions s’imposent.
- J’ai des amis formidables.
- Doucement je vieillis.
- Moins doucement, mes artères aussi.
- Temps d’arrêter les liquides non-aqueux pendant quelque temps.
- Temps de se remettre au jogging.
- Je hais les dimanches soirs.
- Ayeuh, ma tête.
2 août 2006
Sur le pont des lézards, un samedi soir, on trouve toutes sortes de personnes.
Sur le pont des lézards, d’abord, on trouve Dave, une bouteille de Piper Heidsieck millésimé à la main. En temps normal, une bière ou un vinaigre transalpin eut amplement suffit, mais il est 23 heures et il y a bien des années que le dernier maghrébin du quartier a transformé son épicerie en gallerie d’art conceptuel, il a donc fallu tirer sur les réserves personnelles.
On trouve aussi Kheir et son profil de jeune prince oriental fraîchement arrivé des pyramides avec petit détour par Genève et la Kabylie. Kheir a dépensé tout son or durant le shopping de l’après-midi, mais apporte tout de même un peu de myrrhe et d’encens. Pour le papier à rouler, on se débrouillera.
Sur le pont des lézards, on rencontre Tracy et Cecilia, petites poupées rubenesque aux rondeurs douces mais pas excessives, de celles qu’on trouve encore dans les rares coins du midwest américain qui n’ont pas complètement remplacé l’agriculture par le coca-cola. Tracy et Cecilia sont calmes et souriantes adossées à la rambarde en sirotant lentement leur unique bière de la soirée. C’est la première fois qu’elles voient autant de lézards sur un pont.
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