Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

2 août 2006

Le Pont des Lézards

Posté dans : Carnet de Bal, par Dave A. à 2:39

Sur le pont des lézards, un samedi soir, on trouve toutes sortes de personnes.

Sur le pont des lézards, d’abord, on trouve Dave, une bouteille de Piper Heidsieck millésimé à la main. En temps normal, une bière ou un vinaigre transalpin eut amplement suffit, mais il est 23 heures et il y a bien des années que le dernier maghrébin du quartier a transformé son épicerie en gallerie d’art conceptuel, il a donc fallu tirer sur les réserves personnelles.

On trouve aussi Kheir et son profil de jeune prince oriental fraîchement arrivé des pyramides avec petit détour par Genève et la Kabylie. Kheir a dépensé tout son or durant le shopping de l’après-midi, mais apporte tout de même un peu de myrrhe et d’encens. Pour le papier à rouler, on se débrouillera.

Sur le pont des lézards, on rencontre Tracy et Cecilia, petites poupées rubenesque aux rondeurs douces mais pas excessives, de celles qu’on trouve encore dans les rares coins du midwest américain qui n’ont pas complètement remplacé l’agriculture par le coca-cola. Tracy et Cecilia sont calmes et souriantes adossées à la rambarde en sirotant lentement leur unique bière de la soirée. C’est la première fois qu’elles voient autant de lézards sur un pont.

Megumi et Kyoko, toutes deux étudiantes à Waseda, ont décidé de profiter de leurs vacances d’été pour passer un mois en Europe, emmenant Masa, le petit frère de Megumi. Kyoko et Dave s’accordent sur le fait que le campus de Waseda partage des similitudes architecturales troublantes avec celui de Cambridge. Comme le veut l’étiquette japonaise, Kyoko et Megumi feignent à s’y méprendre un fou rire de complaisance quand Dave exécute sa traditionnellement peu convaincante imitation d’argot yakuza tokyoïte.

Sur le pont des lézards, on retrouve Pierre, qui parle peu ce soir et Thibaut, qui parle trop, comme d’habitude.

On croise Momo, qui s’interroge à haute voix sur les aspects techniques de l’enivrement au champagne. Dans le temps, Momo a fait des lignes derrière le bar du Palace. Il regrette le temps où les drogues et les nuits parisiennes étaient certes moins sûres mais plus accessibles aux masses prolétaires. Momo n’est pas très branché people, mais il aime bien citer Marguerite de Race pour illustrer sa théorie des rapports humains.

Mais surtout, un samedi soir, sur le pont des lézards, on rencontre Léo et ses potes. Léo a seize ans et un fort désir de communier avec ses frères humains par une si belle soirée d’été. Léo habite dans le quartier, mais ne se reconnaît pas dans les aspirations économico-sociales de ses collègues de lycée qu’il hésite tout de même à traiter de petit-bourgeois, vraisemblablement par crainte de l’amalgame. Léo vit dangereusement, puisqu’il s’est déjà fait menacer à l’arme de poing, non loin de son nouveau lycée, sis dans les quartiers nords de Paris (de l’autre coté de la Seine, loin de par delà le pont des lézards). Léo veut devenir dessinateur professionnel, mais est le premier à garder la tête froide quant à ses ambitions artistiques. Léo aime beaucoup Éric Clapton, les Rolling Stones et Led Zeppelin, particulièrement ce passage dans Heartbreaker où ça part comme ça, là, tu vois. Sentimentalement, Léo se cherche encore ; d’ailleurs il trouve Kheir charmant. Kheir, lui, sait ce qu’il cherche depuis longtemps et ne compte a priori pas le trouver dans les établissements secondaires de la République, il se contente donc de son habituel sourire énigmatique. Pierre et Dave pouffent puérilement lorsque Léo, à moitié-hypnotisé, fait part à Kheir de son admiration pour l’oeuvre de Stanley Kubrick qu’il entreprend de citer en toute candeur (« 2001, Odyssée de l’espace, the Shining et, euh, Lolita aussi… »).

Alors certes le pont des lézards ne fut que la première des nombreuses étapes de notre randonnée zoologique nocturne, mais c’est sans conteste là que se trouvaient les plus curieux et les plus attachants de tous les lézards rencontrés.

7 Comments »

  1. Bonjour Docteur,
    Comme l’ami Félix, mais avec moins de brio stylistique, je voulais, à mon tour, vous faire part de mon plaisir à vous lire, même si mes passages devenaient, ces derniers temps plus rares, mon lecteur RSS restant désespérément muet, du fait d’un réglage d’icelui sur les dernières 24 heures qui, s’il se satisfait bien d’une certaine fébrilité propre aux jeunes gens modernes prompts à poster, ou encore à certains capitaines, vigies constantes de leurs blogs embrumés, s’accommode finalement mal (le réglage… suivez un peu, quoi bordel!)de la lenteur, pour ne pas dire la langueur, que vous cultivez volontiers, afin de nous pourvoir en textes exquis, savoureux voire beaux, ce qui, finalement, écrème peut-être votre lectorat, mais, comme tout écrémage, vous permet de n’en conserver que la crème, si je puis me permettre la tautologie, crème dont je m’honore de faire partie aux côtés de gens de qualité comme Mr Félix sus-cité où les deux autres que vous mentionnez dont la discrétion n’est probablement que le signe de la distinction, au sens le plus classique du terme, et non au sens bourdieusien quelque peu galvaudé et bien branlotin, cette distinction qui fit que quand Swann, par inadvertance, rota dans le salon Verdurin, tout le monde crut, Odette la première, qu’il soupirait.
    Ainsi va le monde.
    Sinon ça va vous?
    Briscard

    Comment par Briscard — 3 août 2006 @ 3:35

  2. J’ai déjà fini de te lire. Trop vite, sans le faire exprès. Je savais que le mois de mars ne passerait pas l’hiver, mais j‘espérais qu’août allait au moins durer l’été.
    J’ai bien essayé de me rabattre sur ton blog anglais mais la saveur n’est pas la même et mon niveau de compréhension m’a tout juste permis de me rincer l’œil sur les belles fesses porte-fundoshi, ce qui n’est déjà pas mal. Quant au blog japonais, mon ordinateur n’est pas con-figuré pour afficher les idéogrammes, ce con. Ce n’est donc pas par manque de bonne volonté, même que j’ai très envie d’apprendre le japonais, un alphabet qui se lit de haut en bas ne peut être que très recommandable. Lot de consolation, les photos illustrent le Pont des Lézards et ouvrent le champ des spéculations sur tes attributs : les lunettes ou la barbichette ? ou bien es-tu planqué derrière l’appareil photo ? peut-être attendre le prochain Paris-carnet pour être fixée ?

    Comment par Douda — 12 août 2006 @ 12:43

  3. Briscard:

    Je n’ai jamais cru un instant que vous nous eussiez abandonné et pensez bien que je vous incluais fermement dans mon décompte des quatre personnes qui fréquentent parfois ce blog.
    Sinon ça va bien, merci…

    Douda

    Mes plus plates excuses pour la cadence de production du présent blog : je suis hélas assujetti à la capacité de mes pauvres neurones amoindris par des années d’excès et qui n’étaient probablement pas si frais pour commencer.

    Pour diverses raisons historiques, personelles et familiales, le blog en anglais est en effet d’un tout autre ton, ce qui me donne justement une excuse pour consacrer un peu d’énergie à celui-ci. Quant au blog en japonais : ne parlant moi même pas un mot de cette langue, je me contente de taper des caractères au hasard et de les arranger en paragraphes esthétiquement satisfaisants ornés d’occasionnelles illustrations pour donner le change… Pas de regrets à avoir donc.

    J’admire au passage le travail de recherche qui t’a conduit aux photos en questions. En fait, il ne s’agit pas vraiment de la soirée mentionnée ci-dessus, mais d’une antérieure d’un mois ou deux (je garde une loge attitrée sur le Pont des Lézards durant l’été). Je me dois de souligner qu’il me parait bien restrictif d’assumer d’emblée que je ne puisse être d’ethnie sino-caucasienne, voire de sexe féminin…

    Comment par dr Dave — 15 août 2006 @ 2:43

  4. Tu as raison, je vais toujours trop vite à des conclusion pas toujours heureuses. Mais disons que les deux sino-caucasiens de la photo m’ont paru un peu trop jeunes pour porter le lourd passif que j’imagine être le tien…Quoique moi-même étant un vieil universitaire de 62 ans qui se fait passer pour une jeune maghrébine roumophile, tu pourrais tout aussi bien être le vieux croûton qui accompagne la salade…

    Comment par Douda — 16 août 2006 @ 2:41

  5. Moi? Un lourd passif? Un oeil de verre, un dentier et une jambe de bois aussi, tant qu’on y est ? Sachez, Mademoiselle, qu’à part un léger grisonnement prématuré du poil et de possibles séquelles neurologiques — a priori peu discernables de prime abord — ni ma personne, ni le portrait à l’identique que je garde soigneusement caché dans une pièce de mon manoir n’avons encore à déplorer la marque excessive des vices ou des années (j’ai pas dit qu’on partait de haut non plus).

    Sinon oui, il parait que pour une adolescente de mon âge, j’ai une imagination débordante…

    Comment par dr Dave — 17 août 2006 @ 3:38

  6. Dr Dorian Gray…euh Dr Dave…des tempes gentiment grisonnantes ? c’est tout ? tu devrais ressortir le portrait planqué…tes excès y ont sûrement laissé les traces qui épargnent ta face ingénue… à moins que tu ne te shootes au botox ? !

    Comment par Douda — 18 août 2006 @ 1:44

  7. Non, non, aucun vice de fabrication caché. Je les affiche tous fièrement.

    Et pour le botox, il n’en est pas question :
    1) Jamais de produits toxiques à vocation utilitaire. Question d’éthique.
    2) Je pense que l’impossibilité d’afficher le sourire narquois semi-permanent qui me tient lieu de contenance me manquerait énormément. Et comme l’avait prouvé en son temps mon amie T. qui avait décidé pour quelque raison insondable de se botoxifier la figure prématurément, même les commentaires les plus désobligeants ne parviennent à décongeler un muscle botoxifié.
    3) Pour conserver la fraîcheur de mon teint, c’est le bain de sang de vierge nubile, tous les matins. Ou à défaut, quand j’arrive à mettre la main sur un stock suffisant de sang de vierge nubile (extrêmement dur, en ces temps de relâchements des moeurs).

    Comment par dr Dave — 23 août 2006 @ 7:52

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et ignotas animum dimittit in artes