Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

6 octobre 2005

Pourquoi Houellebecq me les brise

Posté dans : J'exècre, par Dave A. à 4:46

C’est pas pour me vanter, mais je ferais un piètre critique litéraire.

D’abord, parce que je sais lire, et l’on m’a assuré que cela constituait une tare rédhibitoire dans le milieu.

Ensuite, parce que malgré des opinions tranchées à l’égard de l’ensemble de la production artistique de mes contemporains, j’arrive difficilement à en formuler avec exactitude les raisons communicables à un quelconque interlocuteur. Mes goûts et dégoûts sont souvent viscéraux, mais rarement argumentés de manière convaincante. A ma défense, chez la plupart des gens, défendre un livre se fait essentiellement par l’exposition de faits sans rapport ou de syllogismes creux (« elle a couché avec untel », « il parle super bien à la télé », « sa photo sur la quatrième de couv’, elle est à tomber par terre » etc). Plus l’auteur est récent et médiatisé, plus les arguments sont stupides. Rien de plus navrant que les contorsions intellectuelles du branché qui tente de donner une caution artistique à ses lectures grégaires.

De Houellebecq, je n’ai lu que Plateformes et les Particules Elémentaires; l’insipidité de son style et un sentiment indéfinissable d’agacement extrême me firent refermer ce dernier avant la fin du troisième chapitre. Et justement, ce qui est étrange dans la répulsion que m’inspirent l’oeuvre et son auteur, c’est que j’ai toujours eu du mal à en définir les raison précises.

De prime abord, pourtant, nous partagerions bien quelques vues sur la médiocrité du genre humain. Nous semblons détester dans la même direction: Il exsude de Plateformes un certain mépris du petit-bourgeois cadresupérien qui s’en va barouder dans les Club Meds les plus reculés de la planète histoire de tromper l’ennui et si possible sa femme avec de la marchandise locale bon-marché… Un mépris que je ne saurait renier, même s’il me semble y discerner pas mal de complaisance aussi. Du coté des goûts, en revanche, il m’est bien plus difficile de m’identifier aux engouements de cet homme. Ou plutôt, son engouement, puisqu’il n’en existe qu’un: le cul. Or j’ose espérer que même dans mes fantasmes les plus inavouables, on ne trouve guère de cet érotisme Harlequin de supermarché campagnard qui lui tient guise de libido.

Et puis au fil de conversations, je me suis aperçu que toutes les réponses au pourquoi de ma haine se trouvent directement dans les arguments de ses défenseurs.

« Mais quand même, c’est un auteur majeur de la littérature française contemporaine: on en parle partout à l’étranger, regarde, putain, même le New York Times! » me dit mon ami David, homme de culture et de lettres, dont le moindre défaut serait une confiance exagéré dans le discernement du public.
Est-ce que quelqu’un a regardé récemment ce qui s’exporte de France en matière de création artistique? Moi oui.
Je peux vous dire qu’au rayon « Furansu » de mon Tsutaya local, en fait d’auteurs majeurs du cinéma français contemporain, si vous avez de la chance, vous trouverez peut-être un ou deux Truffaut poussiéreux (celui ou on voit Françoise Dorléac à poil, de préférence), coincés entre une montagne de Bessonades marseillaises et l’intégrale des Bronzés, avec peut-être une retrospective des plus grands moments cinématographiques de Jean Reno (non, pas son espèce de navet xéno-homophobo-franchouillard qui se déroule au Japon: faut pas déconner quand même). Mais même en se cantonnant au domaine de l’écriture, vous savez combien il a fallu d’années avant qu’on traduise Boris Vian ou Albert Cohen? Alors le coup de la reconnaissance sur la scène internationale, hein…

Je passerai charitablement sous silence la reconnaissance émanant du cercle très fermé de l’édition parisiano-parisienne, qui est à l’écriture, ce que la San Fernando Valley est au septième art, avec plus de dentiers, moins de silicone et moins de caméras pour immortaliser les séances d’auto-fellation collective qui prennent place annuellement dans quelques troquets has been de la rive gauche.

« Il faut dire qu’il n’a pas un physique très avenant », exprimait en substance Nordine, discutant des difficultés qu’avait pu rencontrer sa carrière bourgeonnante dans le monde sans pitié de l’édition Française, où ça aide quand même beaucoup d’avoir exhibé sa ligne de flottaison mammaire en direct sur TF1 pour décrocher un contrat. Et là, je pense qu’on touche à l’explication: l’homme possède le sex appeal d’un guichetier SNCF sous Prozac. En fait, on est en droit de soupçonner que même bien avant qu’il n’en soit réduit à planquer sa calvitie sous une coiffure Giscard, il se faisait déjà jeter pas mal de cailloux dans les cours de récré (les enfants sont cruels. et très cons). En fait, si je n’aime pas Houellebecq, c’est tout simplement parce qu’il possède à peu près le charisme d’un pou pubien.

J’en entend déjà s’indigner et je m’empresse d’éclaircir ma pensée: bien évidemment, il m’est parfaitement égal de savoir que l’auteur du livre que je parcours soit le dernier des avortons. S’il faut en croire les gravures d’époque, on compte peu d’éphèbes parmi les grands auteurs de l’antiquité à nos jours, et cela a rarement constitué un handicap pour leur lectorat. Qui plus est, vous vous doutez bien que si l’auteur du présent billet a opté pour une carrière bloguistique loin des caméras Hollywoodiennes, ce n’est pas en raison d’une trop forte ressemblance avec Cary Grant. Comme disait le plus grand d’entre eux: c’est supérieur à la beauté en ce que, au moins, ça dure. Ce qui est toujours un avantage si vous n’avez pas l’ambition de vous pulvériser en Porsche à 24 ans. Quoi qu’il en soit, le problème chez Houellebecq, ce n’est pas qu’il soit plutôt moche, c’est les longues années de complexes et d’aigreur qui en ont résulté et qui suintent de chacune de ses pages: la haine du type qui s’est fait rejeter par ses congénères, au début parce qu’il était moins bien foutu que la moyenne, mais aussi petit à petit parce qu’il devenait un vieux con aigri. Bref, une aigreur auto-alimentée qui s’épanche avec plus ou moins de bonheur dans l’écriture misanthropique.

Sauf que, ultime injustice, les gens tendent à préférer leurs asociaux: beaux et spirituels; ou à défaut suffisamment sulfureux pour leur donner l’aura que leur présence physique seule ne parvient pas à générer. Et là, manque de bol, en plus d’être un pillier de médiocrité sociale aux angoisses existentielles nombrilistes de quadragénaire aussi passionnantes que des mots croisés de programme télé, M. Houellebecq vit à une époque dénuée de la moindre occasion de se distinguer par quelques positionnements moraux ou idéologiques douteux, susceptibles d’intéresser tout au plus une demi-douzaine de soixante-huitards semi-grabataire au détour d’un portrait dans Télérama. Reste la pornographie prosaïque à caution artistique, toujours un bon vecteur de vente, hélas sujet à forte concurrence.

De nos jours, non seulement l’empoisonnement à la cantharide de sa domesticité encourt les mêmes risques carcéraux qu’à l’époque, mais il n’est même pas sûr que cela vous donne droit à une colonne en première page des quotidiens nationaux, ni même dans l’encart détachable spécial littérature. Evidemment, en terme de démarche artistique discutable, faire la tournée des bordels de Pataya, ça en jette quand même beaucoup moins que randonner dans le Bade-Wurtemberg en 1945. Mais il faut se rendre à l’évidence: l’anti-sémitisme n’est pas encore revenu de mode en France. Ce qui vend pas mal, en revanche, c’est la Menace du Sud, l’appel à la Reconquista, la dénonciation de ces sauvages mangeurs de harissa qui viennent jusque dans nos hotels faire exploser nos femmes, nos enfants et les deux prostituées thaïlandaises qu’on avait loué pour la nuit. Très, très vendeur ça, puisqu’à coté de ceux qui protestent énergiquement mais qui n’en pensent pas moins, il y a ceux qui sont ravis de combler leur quota d’indignement bien-pensant pour l’année tout en lui faisant un peu de pub.

Le problème dans tout ça, c’est que si j’ai envie de lire les élucubrations bilieuses d’un type qui détestait cordialement tout le reste de la Création, je peux aussi bien me faire Mein Kampf (n’y voir aucun parallèle idéologique) ou si c’est pour le cul, j’ai aussi tout ce qu’il me faut sous la main…

Donc voilà, je vous laisse bien volontiers à la lecture de Houellebecq et de sa biographie de Raël qui ne saurait tarder à paraître, moi je retourne lire du Desproges: lui au moins, il est drôle.

12 Comments »

  1. Celine aussi c’est pas mal… Sinon toujours aussi brillant votre style. Couillu et choisu tout à la fois. Continuez, merci.

    Comment par Briscard — 7 octobre 2005 @ 12:58

  2. PS: Houellebecq me les brise aussi. Mais pas tant que Delerm Père, chantre de la même petitesse mais dans le genre résigné médiocre et prof Degauche. Le fils aussi d’ailleurs. Enfin c’est mon avis.

    Comment par Briscard — 7 octobre 2005 @ 1:02

  3. Je tiens à faire montre par la présente de ma culture générale :
    Loana a fait ses classes sur M6, et non TF1.
    Il fallait le dire : c’est dit.

    Comment par Xavier — 7 octobre 2005 @ 5:09

  4. Qu’il s’agisse de Houellebecq ou de Nothomb ou de Beigbeder, je crois q’on est simplement en face de quelquechose que l’on nomme litterature mais qui depuis pas mal de temps maintenant devrait s’appeler production écrite. On est juste sorti du domaine artistique pour entrer ans celui du produit.
    Briscard parle de celine et pour le coup on est à l’opposé de Houellebecq. Celine c’est le style avant tout (il le disait lui-même). Houellebecq c’est le non-style. Le pobleme de Houellebecq c’est peut-être ça : chez lui tout n’est qu’absence. Absence de style, absence d’humour, absence de passion… Et puis il est nieszchéen à la petite semaine et ça c’est gonflant.

    Comment par Rhagnagna — 10 octobre 2005 @ 6:45

  5. Briscard:

    Je ne connais pas assez Delerm père pour avoir un avis sur la question, quand au fils (je n’avais jamais fait le rapprochement entre les deux): une amourette d’antan appréciait et écoutait souvent son (premier?) disque, pour des raisons que je soupçonne plus francophiles que mélomanes, ce qui m’avait donné l’occasion à l’époque de découvrir une espèce de sous-Brassens sans mélodie ni talent marquant, qui ne m’avait d’ailleurs pas marqué à outrance…

    Céline… C’est encore autre chose. A vrai dire, je ne suis pas fan inconditionnel de Céline, et cela inclue, même s’il est d’habitude de mauvais goût de le mentionner, un différent idéologique assez profond. Mais je conçois tout à fait que l’on puisse avoir de l’appréciation pour son style (qui, au moins existe, contrairement aux oeuvres des sus-nommés) et il était doté d’un indéniable talent d’écriture. Ce qui rend d’autant plus regrettable l’usage qu’il en a fait (et en tout cas pour moi, gâche une bonne partie du plaisir que j’eus pu avoir à lire certains de ses livres).

    Xavier:

    Je te remercie de cette précieuse correction. L’intégrité journalistique de ce blog s’en trouve rehaussé. Sinon, il faut m’excuser: je n’ai pas vraiment l’habitude; dans le temps, c’est sur TF1 qu’on voyait des jeux télévisés abrutissants et le softcore de M6 était réservé aux actrices professionelles.

    Rhagnagna

    Tout d’accord.

    Et Beigbeder, je crois qu’on va même pas en parler. Parce que ce n’est plus un billet qu’il faudrait, mais un livre. Or, disait l’un de ses dignes prédécesseurs dans la vacuité poudrée, il convient d’être économes de notre mépris: il y a tant de nécessiteux.

    Comment par dr Dave — 10 octobre 2005 @ 8:53

  6. Dr Dave:
    Pour Delerm vous ne perdez rien.
    Pour Céline je suis bien d’accord sur la profondeur du différend idéologique, dont je pense toutefois qu’il est toujours de bon goût de le mentionner et même de rappeler ce que Céline fut: un méprisable petit commercant collabo, vichyste et antisémite même pas honteux. Cela dit le Céline du Voyage, et encore un peu de Mort à Crédit, est définitivement un immense écrivain, et on ne peut rien y faire… sinon se dire, comme d’aucuns, avec une certaine amertume que déjà sous Malaparte dormait Caméléon…

    Comment par Briscard — 11 octobre 2005 @ 6:51

  7. Briscard:

    Par « mauvais goût », je pensais surtout à cette tendance appuyée dans de nombreux milieux intellectuels à ne pas même daigner mentionner ce détail de la vie du Grand Ecrivain. La vieille scie qui veuille que l’on juge l’oeuvre par son mérite propre sans s’embarrasser des contingences matérielles qui en ont vu la naissance.

    Or je ne peux me résoudre à passer outre la personnalité de l’auteur lorsque je considère l’oeuvre: ceux qui s’en disent capables sont des hypocrites, ou alors j’attends que l’on vienne m’expliquer pourquoi 99% de ce qui s’écrit autour de la littérature repose d’habitude sur des détails historiques et biographiques.

    Comment par dr Dave — 14 octobre 2005 @ 3:04

  8. dr dave > du coup, et pour recentrer le débat, on pourrait se poser la question du discours islamophobe dans la production Houellebecquienne. Quant à ses accointances avec Rael dont on parle tant à l’occasion de son dernier ouvrage, n’oublions pas qu’elles étaient déjà à l’oeuvre dans Lanzarote (l’islamophobie également soit dit en passant)
    Je profite de l’occasion pour dire que j’ai lu récemment Extension du domaine de la lutte (je ne voulais pas avoir l’air has been dans les soirées branchées). J’ai choisi celui-ci car les critiques s’accordent à dire que c’est son meilleur ouvrage. En 4eme de couverture : « c’est LE livre que toute une génération attendait » (L’EXPRESS). Je crois que j’ai rarement lu un livre aussi ennuyeux, aussi creux et dénué de style. Il y a vraiment des réputations qui sont usurpées (comme celle de Bonjour Tristesse, lu recemment dont je ne comprend pas le succès)
    J’arrete là.
    Briscard > je me suis recemment aperçue que vous commentiez chez mon chouchou, le jeune brad-pitt deuchfalh, à qui je fais de la pub dès que j’en ai l’occasion. Que de beau monde ici.

    Comment par Rhagnagna — 14 octobre 2005 @ 5:37

  9. Docteur> c’est bien pour ça que je citais Cavanna (Déjà sous Malaparte…) qui lui-même paraphrasait Hugo. C’est qu’en effet le Céline du Voyage est DEJA le Céline pourri de Bagatelles. Et c’est bien là le problème: comment peut-on être ça et ça… je n’ai pas de réponse… Quant aux liens entre la vie et l’oeuvre cf. Jean Sol et L’idiot de la Famille…
    Rhagnana> effectivement on s’est croisé chez Braddy et je partage bien votre appréciation sur ce jeune talent, sinon jeune personne! On s’est croisé aussi chez Max où mes comment souvent vachards sont systématiquement virés car je me suis un peu fâché avec Max voici quelques mois et l’animal est bien fat et rancunier! On s’est croisé aussi, toujours à propos de Max sur le blog de Durand et sûrement ailleurs, tant il est vrai que la blogosphère est le reflet du monde: les amateurs de bonne chère se retrouvent inévatablement derrière les même bonnes tables! A bientôt donc!

    Comment par Briscard — 14 octobre 2005 @ 9:19

  10. Je découvre et tenterai de lire tout ce blog dans l’ordre chronologique. Déjà je suis scotchée, tant je partage vos avis. J’éprouve un dégoût profond pour Houellebecq et de l’effroi avec Céline. Ma condition féminine est par eux trop maltraitée…
    Je m’en retourne à ma lecture.

    Comment par Amazone — 12 janvier 2007 @ 11:30

  11. Amazone

    Vous me voyez ravi que mon humble mépris pour l’oeuvre de Monsieur Houellebecq en particulier et la petitesse des hommes en général puisse trouver quelque écho dans vos opinions. Je vous souhaite bonne lecture et la bienvenue en ces pages.

    Comment par dr Dave — 15 janvier 2007 @ 3:21

  12. […] comme s’il fallait me rappelait à nouveau que je vieillis, mon écrivain favori vient de gagner la tombola annuelle de […]

    Ping par L’Automne à Paris » Récompense de la Médiocrité — 9 novembre 2010 @ 12:36

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et ignotas animum dimittit in artes