Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

15 août 2006

Les seins de Zoé

Posté dans : le Japon, par Dave A. à 1:39

Ce soir-là, ou plutôt ce matin-là, on jouait pour l’addition : les deux scores les plus bas s’acquitteraient de l’intégralité des consommations du groupe. Un honneur qui n’était pas loin de m’échoir puisque Masa accaparant la dernière place, je jouais l’avant-dernière au coude à coude avec Skye qui avait pourtant raflé la plupart des questions à caractère sexuel impliquant un nombre impair de partenaires. Les autres nous avaient tous mystérieusement devancés dans les manches récentes, glanant leurs points dans des domaines aussi variés que la consommation de Label Bleu (une bouteille en un soir : Pauline), la fréquentation des ashrams indiens (17 mois : Stacy) ou le nombre de reptiles apprivoisés dans un deux-pièces (un python et deux couleuvres : Sachiko).

Quant à Brendan, tout le monde se souvenait maintenant pourquoi c’était une mauvaise idée de jouer à « Qui a déjà? » avec lui : non seulement Brendan a déjà partagé une pipe d’opium avec le pape au milieu de la basilique St Pierre entourés d’une douzaine de prostituées hongroises à peine majeures et de trois tigres albinos, mais en plus il a gardé les photos.

D’ailleurs c’était à son tour de parler. Ce qu’il fit sans la moindre hésitation, mais non sans prendre le temps de vider préalablement son verre d’une traite :

« Aight now… hooz ever… hooz eveh’ snah’ted coke af’ a hooker’s tits ? »

Masa, dont les cours d’anglais suivis d’une paupière distraite au lycée n’avaient probablement jamais couvert l’accent gallois à 7 whisky moins le quart, hésitait entre perplexité et panique linguistique : « Nantoka mune ha iki wo sh’te koto ga arunoka!?! Dou i’imi wakaranee yo! « .

« Non, Masa, pas priser sa poitrine, priser sur sa poitrine… un rail de coke. », se mit à expliquer patiemment Skye.

« Un vieux cliché cinématographique occidental un peu con », crut bon de rajouter Pauline en guise de conclusion à cette parenthèse linguistico-culturelle.

C’était l’occasion inespérée de faire mon échappée. Juste à temps pour la fermeture du bar, qui n’aurait su tarder, à en juger par l’insistance passive-agressive avec laquelle le barman continuait à essuyer le même verre depuis un quart d’heure entre deux regards vers notre groupe. En jouant bien mes cartes, je pouvais tout à fait négocier le demi-point qui laisserait à Skye et Masa le soin de régler notre nuit de débauche alcoolique.

« Vous vous souvenez de Zoé? »

Au Tropicana, la plupart du temps, c’était juste Zoé et moi.

On s’était tout de suite bien entendu.

Peut-être parce que l’un comme l’autre, on n’avait pas beaucoup de raisons d’être là. Passant nos soirées à servir des bières et mélanger des cocktails sucrés pour une clientèle oscillant entre expats blasés et salarymans rincés, parfois accompagnés de quelques hôtesses en fin de service. Nous faisions passer le temps en partageant nos observations sociologiques ainsi que pas mal de shots de tequila.

Zoé était diplômée d’Oxford en chimie organique, spécialisée dans les polymères industriels. Après quelques mois de plongée sous-marine en Thaïlande, elle avait un jour atterri à Narita avec un visa touristique de trois mois, un vieux dictionnaire anglais-japonais acheté d’occasion à Bangkok et pas mal d’a priori négatifs sur le Japon. Comme moi, quatre mois plus tard, elle était toujours là et ne savait pas vraiment pourquoi.

La vaste majorité des étrangères hantant les bars de Roppongi était façonnée dans le même moule ukrainien comprenant paire de jambes interminables talon-aiguillonées, cheveux blonds comme les blés du Caucase et pupilles bleu-glace ne se réchauffant qu’au reflet des billets de dix mille yens.

Zoé, elle, était plutôt petite, avec deux immenses yeux noisette qui semblaient lancer des clins d’oeil tout seuls. Quand elle écarquillait les yeux en prononçant « naughty » d’un accent oxbridgien où pointait un imperceptible fond de gouaille est-londonienne, il fallait un effort surhumain pour se retenir de lui tenir les joues en l’embrassant à pleine bouche comme un collégien espiègle. Incidemment, je la suspectais d’avoir développé ce regard quasi-hypnotique à seule fin de maintenir l’attention de ses interlocuteurs mâles au dessus de ses épaules pendant la conversation. Car, si verticalement, Zoé se rapprochait de la moyenne japonaise, l’origine de ses horizontales, en revanche, ne laissait aucune place au doute : seule la longue et fière tradition d’un peuple qui aime ses prairies pluvieuses et ses laitages frais, pouvait avoir engendré de tels attributs. Là encore, ne pas céder à la tentation d’y plonger sa tête dans un accès de régression infantile bassement freudienne, demandait un effort de tous les instants.

Zoé avait une paire de nibards tout simplement éblouissante.

[la suite plus tard…]

8 Comments »

  1. Argh, deux jours avant mon départ en vacances, sans accès internet bien évidemment, un nouveau texte et une suite laissée à plus tard…
    Non seulement vous avez décidé de me faire mentir quant aux délais de parution de vos billets – ce dont je ne me plaindrai pas – mais vous semblez vouloir torturer vos lecteurs à petit feu.
    Terminer sur une phrase parlant de « nibards éblouissant » relève en effet soit de l’effet d’annonce visant à vous assurer une fréquentation accrue, soit d’une volonté perverse de ménager vos effets, tandis qu’à l’aube d’une journée de travail vous attirez l’attention de vos lecteurs sur une partie de l’anatomie féminine qui les fait parfois évoquer avec nostalgie le statut de nouveau-né non sevré, perturbant gravement l’efficacité desdits travailleurs…
    Shame on you!
    Et encore merci pour vos billets
    FéliX

    Comment par felixnemrod — 16 août 2006 @ 9:17

  2. Pas mieux: le sieur Félix parle d’or.
    Sinon ça va?
    Briscard

    Comment par Briscard — 16 août 2006 @ 10:33

  3. Très bonne bande son 😉

    Comment par pouype — 17 août 2006 @ 9:35

  4. Diantre, point n’est moyen de te satisfaire, ô public ingrat!
    Moi qui pensait pour une fois mettre un terme aux incessantes complaintes sur le manque de régularité, me voici maintenant accusé à demi-mot d’user de procédés bassement racoleurs (!). Je suis choqué, que dis-je, outré par de telles insinuations.

    Bon, et c’est pas parce que l’on aurait quelque peu abusé d’artifices feuilletonesques un peu foireux par le passé qu’il ne s’agit pas ici d’une tentative en toute bonne foi d’échapper à ma malheureuse habitude de conserver des billets en souffrance dans mes brouillons, des semaines durant, faute de pouvoir en achever le contenu pour publication d’un seul jet.

    Comment par dr Dave — 17 août 2006 @ 3:19

  5. Diantre vous même!
    Ingrat? Que nenni! Il ne s’agit que de la dénonciation devant témoins – blog oblige – d’une certaine propension de votre part à la torture psychologique de vos lecteurs…qui, ravis et peut être quelque peu masochistes, y reviennent avec le sourire, espérant sans doute découvrir un nouveau post.
    Si ce n’est pas l’apanage d’un public fidèle et enthousiaste, je veux bien me les mordre.
    Euuuh, oubliez ça, mon embompoint m’interdit ce genre de pratiques.
    Vous devriez au contraire louer le ciel de bénéficier des faveurs d’un lectorat si pointilleux qu’il ne peut vous passer la moindre incartade, ce qui dénote :
    1- une volonté de sa part de vous aider à atteindre la perfection
    2- partant, l’emploi de moyens parfois détournés pour vous y pousser…
    mais ne dit-on pas qui aime bien…
    FéliX

    Comment par felixnemrod — 17 août 2006 @ 4:08

  6. Balzac usait et abusait « d’artifices feuilletonesques un peu foireux »… Pour autant peut-on le lui reprocher aujourd’hui et ce, bien que Marcel Aymé ait déclaré que Simenon c’était comme Balzac « les longueurs en moins »?
    Commentez; je ramasse les copies dans une demi-heure.

    Comment par Briscard — 17 août 2006 @ 4:56

  7. argh,
    après le rush matinal, je me connecte et m’aperçois avec horreur qu’un auguste visiteur de ce blog nous a laissé des devoirs et que l’heure de ramassage des copies est très largement dépassée.
    Fort heureusement, n’ayant jamais pu parvenir malgré de nombreuses tentatives à apprécier l’oeuvre de Balzac, je n’estime pas devoir rendre de copie « pour l’honneur » et me rends aux arguments implacables del’horloge.
    Celà m’évitera à tout le moins un zéro pointé dû à mes travaux et je pourrai, sans rougir, prétendre avoir été victime de circonstances indépendantes de ma volonté…
    Yek yek
    FéliX

    Comment par felixnemrod — 18 août 2006 @ 10:16

  8. […] Les seins de Zoé, donc. […]

    Ping par L’Automne à Paris » Les seins de Zoé pt. 2 — 23 août 2006 @ 6:20

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et ignotas animum dimittit in artes