Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

5 octobre 2006

Septembre en Trois week-ends (pt. 1)

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 1:14

Petit intermède.
J’avais prévu de reprendre là où j’ai laissé l’autre jour (promis ma Brisquette : on y reviendra)… Mais j’ai pas eu une minute à y mettre cette semaine : avant-hier, c’est Kheir, invoquant Allah sans arrêter un instant de reluquer le cul pas très hallal du serveur, qui nous a inopinément laissé avec deux bouteilles de vin de Sicile à finir à deux. Hier, tardivement libéré de mes obligations, je finissais ma soirée dans un café du onzième à attendre en vain une élusive à qui j’avais promis un lait-fraise (bon, ok, je faisais pas qu’attendre et de moins élusives étaient présentes).
Bref, il faudra pour l’instant se contenter de mes notes du mois dernier, décousues à la main, recousues à la machine en attendant mieux.

Premier week-end. Mes Grand-Parents.

C’est leur tour annuel de la plantation : profitant de l’hiver austral, ils parcourent la création à coup de 747 et luttent à leur manière contre la pernicieuse hérésie copernicienne, en s’assurant que le soleil n’a pas tout à fait pris le pas sur leur ego, comme centre de rotation terrestre.

Le premier souvenir que je garde de ma grand-mère est une posture. Sa posture. Debout, légèrement penchée en avant, dans une ferveur à peine forcée. Elle prend un soin, que je sais maintenant calculé, de ne pas laisser un instant son regard glisser vers le gamin qui pleure abondamment à ses côtés. D’ailleurs, il ne sait même plus trop pourquoi il pleure, ce gamin : est-ce à cause du sommet invisible de la nef qui lui donne le vertige, ou parce qu’il ne comprend rien à la langue bizarre dans laquelle s’exprime l’homme que tous écoutent, ou encore à cause de la gifle qu’il vient de recevoir en guise d’invitation à baigner plus silencieusement dans Son amour et Sa miséricorde éternelle. En tous les cas, il se souviendra longtemps de leur masque impassible de bienheureuse exaltation, qui ne s’accommode pas des mesquines contingences matérielles du sentiment d’autrui. Ah, on sent bien qu’il les agace, cet Autrui, avec son irritante habitude d’exister pour lui même, son horripilante tendance à vouloir conserver sa volonté propre, seule ombre mineure au rayonnant tableau que leur a personnellement légué le Tout Puissant dans Son incommensurable bonté et Sa sagesse infinie.

L’autre souvenir, je crois qu’il traîne toujours quelque part dans des cartons d’archives. Il s’agit d’une longue missive d’anniversaire, envoyée en pli recommandé international, à une époque où la volonté de limiter nos contacts au plus strict et courtois minimum n’avait pas encore été établie dans sa réciprocité limpide d’aujourd’hui. Le plus emblématique passage n’en était pas l’énumération des droits et devoirs de l’héritier médiéval de jadis, mais un récit de leur séjour dans le Lazio, où leur engagement dans la bienfaisance caritative et l’émouvant sort des démunis de ce monde, y côtoyait, à un point-virgule près et sans la moindre ironie, les délices du thé avec Monseigneur X et l’imprenable vue sur le lac d’Albano, depuis le confort des salons privés du Castel Gandolfo…

En général, les liens du sang tendance sanguinolente reposent sur des parts plus ou moins égales de rancoeurs en mal de vengeance et de besoins de reconnaissance, deux aspirations incompatibles qui aboutissent presque toujours à d’inextricables situations et d’importantes notes de psychothérapie. Fort heureusement pour moi, mes parents étaient bien placés pour savoir qu’il vaut parfois mieux laisser grandir sa progéniture avec de parfaits inconnus qu’avec sa propre famille. En conséquence, ce n’est qu’avec une aversion distante que je cultive mon indifférence envers mes ascendances dynastiques. C’est même probablement un peu par hasard qu’ils en sont arrivés à représenter si parfaitement cet ensemble de traits que je méprise tant chez mes dissemblables. La bourgeoisie sans discrétion, l’aristocratie sans noblesse, la charité plus qu’ordonnée… Cet élitisme d’opérette qui me fait autant mépriser ceux qui croient en profiter, que les masses subjuguées qui l’entretiennent plus ou moins consciemment.

Dans ces conditions, notre rencontre le mois dernier doit plus à l’intérêt entomologique que je leur porte qu’à cet appel du sang qu’ils n’ont pas encore tout à fait renoncé à déceler en moi. En effet, je compte bien financer mes nombreux coûteux vices et ma retraite précoce par la publication, un jour prochain, de quelque saga romancée, type Rougon-Macquart, rassemblant les épanchements familiaux facilement glanés auprès des divers intéressés à la faveur de mon innocente enfance. Un truc un peu chiant, mais facile à écrire, d’inspiration réaliste, à la Roger Martin du Gard. À cette fin, tout matériau supplémentaire est bon à prendre.

En temps normal, même ces aspirations littéraires ne sauraient suffire à m’assujettir volontairement à leur présence nocive. Si j’avais cette fois-ci accepté sans méfiance leur invitation, c’est à cause du souvenir illusoire de notre brève rencontre au détour d’un aéroport au printemps dernier : cette attitude inhabituellement réservée d’alors que j’avais hâtivement attribué à une maturation inespérée à un tel âge, mais qui n’était que le reflet d’un affaiblissement physique très temporaire, due à la maladie, dont ils ont tout deux fort bien récupéré depuis, merci pour eux.

C’est mon point faible, ça, la pitié. Je ferais un piètre héros de film d’action. Je suis ce stéréotype de l’imbécile cinématographique qui se laisse apitoyer par le méchant au moment crucial, au lieu de profiter de son avantage pour l’achever… Vous savez : celui qui veut donner une dernière chance au meurtrier sadique multi-récidiviste et lui tend la main pour l’empêcher de sombrer dans quelque précipice en lui disant de tenir bon, alors que tout le monde dans la salle a déjà repéré depuis longtemps le poignard planqué dans le dos de l’impénitent vilain.

Évidemment, mes grand-parents ne sont pas des méchants de production hollywoodienne. Ils sont bien pires.

5 Comments »

  1. ‘tain entre les Thibault et les Rougon-Macouille de mes deux Quarts tu t’mouches pas du coude au moins! N’empêche je confirme: tu mérites! Sinon moi mes grands parents c’étaient des salauds d’pauvres un peu genre les Groseille… Dommage qu’ils aient clapotés: on aurait pu organiser une tripoux partie au Balto un d’ces soirs (un mercredi…): j’en ai justement rapporté du Cantal cet été!

    Commentaire by Briscard — 9 octobre 2006 @ 3:45

  2. Elusive, moi ? J’ai pourtant envoyé ma petite-fille à attributs mammaires avec un mot d’excuse (la goutte, à mon âge, n’est même pas une fuite). Elle a dû être dévoyée de sa mission par quelque distraction bucolique…ah les jeunes d’aujourd’hui !

    Commentaire by Douda — 18 octobre 2006 @ 12:50

  3. ‘tain c’est pas possible, z’êtes barrés ensemble Douda et toi… J’en suis réduit à squatter chez Radical Chic… Merde, fais chier…

    Commentaire by Briscard — 25 octobre 2006 @ 5:26

  4. Dave, t’es pas inscrit au Paris-Carnet, tu y seras ou pas? Sinon, on pourrait faire un tour au Balto, à moins que le Balto ne se délocalise à l’O’Cantina. Qu’est-ce t’en penses mon Briscard?

    Commentaire by Douda — 1 novembre 2006 @ 11:19

  5. Briscard : Pour les Thibault-Macquart, je parlais bien entendu du thème, plus que de la qualité. J’aurais pu aussi dire Danielle Steele, mais ça en aurait quand même nettement moins jeté.

    Quant aux salauds de pauvres et salauds de riches, au final, ça donne à peu près le même terreau à ver-de-terre, où ceux qui en ont quelque chose à faire peuvent aller cracher si le coeur leur en dit… Pour les autres, ça doit donner plus ou moins la même indifférence. Mais à défaut d’avoir la chance de naître orphelin, il faut bien se dire que chaque famille à ses carburants à psycho-drames de série Z, l’argent en fait un bon, quand il y en a. Le secret c’est de pas trop s’approcher et on évite la contagion assez facilement d’habitude.

    Douda: Arf, la goutte, m’en parle pas ! Et les rhumatismes, donc…

    re-Briscard: que nenni. Malgré une concordance des temps presque troublante, il ne s’agit que de la coïncidence la plus fortuite. N’importe qui te confirmera d’ailleurs que je ne suis ni grand, ni blond… et mon Amour Carte Postal à moi des trois dernières semaines était beaucoup moins avenante, et aussi exigeante que peu portée sur la chose. La Connaissance est bien une maîtresse insatiable, mais franchement acariâtre et pas facile à vivre tous les jours.

    re-Douda: pas complètement confirmé, mais je pense que j’y ferai au moins un saut en milieu de soirée. Et je me ferais un plaisir de t’offrir cette grenadine, à toi ou à ta descendance si vous veniez à y passer… une version spéciale Remontant Minimum d’Insertion, à base de rhum agricole.

    Commentaire by dr Dave — 1 novembre 2006 @ 5:08

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et ignotas animum dimittit in artes