Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

15 janvier 2007

J’ai pour me guérir du jugement des autres, toute la distance qui me sépare de moi-même.

Posté dans : Carnet de Bal, J'adore, J'exècre, par Dave A. à 2:44

J’ai beau essayer le zen, la quête du satori, la mort lente par agonie des neurones.
Le calme me fait peur, je n’y peux rien, c’est comme ça. L’anxiété sociale, la peur du vide, Qualche volta, quest’oscurità, questo silenzio, mi pesano… Tout ça…

Alors du coup, un peu comme les héros shakespeariens qui redeviennent lucides cinq minutes avant leur mort, les journées d’agitation totale me donnent toujours un paradoxal sentiment de liberté et de champ des possibles quasi-infini.

Je crois que c’est pour ça que j’aime bien le dernier jour de l’année. Pas parce qu’un corps céleste est sur le point d’accomplir sa millionième-et-quelques révolution autour d’un des milliards d’astres de la galaxie, pas parce que le petit Jésus s’est fait couper le bout de la zigounette 2007 ans plus tôt, pas même parce que c’est le jour où le dernier des connards se sent forcé d’enfiler un chapeau en carton en sirotant des bulles pour faire oublier qu’il passe les 364 autres soirées de l’année à roter sa kro’ sur son canapé devant TF1… J’aime le 31 décembre, parce que c’est un des jours où j’apprécie le plus de ne rien faire d’important. Je prends mon temps ce jour-là, et chacune des petites activités banales auxquelles je m’adonne a le goût des occupations plus solennelles dont elle prend la place.

Bien sûr, je ne passe pas (toute) ma journée à rêvasser sans but en relisant les livres que je n’ai presque plus le temps d’ouvrir ces jours-ci. J’aime bien profiter de l’occasion pour contacter les amis que je ne peux me résoudre à laisser filer complètement comme du sable entre les putains de griffes du temps qui passe. J’aime bien les inviter à aller prendre un café et reprendre les discussions au point où nous les avons laissées un ou dix ans plus tôt.

Pendant le dîner, on a parlé des cinq dernières années de la vie de nos alter-egos respectifs : ceux qui vivent dans une dimension parallèle où les maisons sont peintes par Caravage, les dialogues écrits par un écrivain fou et les chats se déplacent sur des échasses. On a aussi ressassé quelques souvenirs plus récents et moins imaginaires. Allongé au milieu de Gaienmae Koen sous des cerisiers fraîchement refleuris pour l’année. Assise dans le lobby du pince-fesse pompeux dont je l’avais tirée pour trancher un débat artistique de la plus haute importance (Edgar Degas : muet le ‘s’, ou pas ?). Une fois renseigné et au lieu de raccrocher, nous échangions de méticuleux détails sur notre coin du monde respectif. Le blanc irréel des fleurs de cerisier éclairées par les guirlandes de lanternes au crépuscule, le chandelier en cristal du plafond, les centaines de couvertures et nappes multicolores étalées sur le sol entre les arbres du parc, les décorations néo-rococo de la banquette en velours où elle s’était assise, la brise Tokyoïte pas encore tout-à-fait estivale perçant doucement à travers le sixième verre de shochu, l’écho musical des flûtes de champagne s’entrechoquant au loin sur les tables, Hiromi et Hako en yukata, Ludivine en tailleur Marc Jacobs… Après s’être souhaité bonne journée et bonne nuit, on était chacun retourné à notre fuseau horaire.

Parfois, Ludivine éclate de son petit rire de gamine, puis reprend brusquement un air pénétré pour dire quelque chose de léger et insensé, comme si l’avenir du monde en dépendait. Sur les quais, elle me dit que l’on devrait y aller ensemble, je lui dit qu’il y a des gens que je préfère ne pas croiser ce soir, elle me dit que l’on n’est pas forcé d’aller là bas, que ça lui ferait plaisir que je reste. Elle est sincère. Moi aussi. Mais en ce moment plus que jamais, j’ai trop besoin de son sourire pour risquer de le perdre sur un lit de bulles de champagne.

Alors on s’en va chacun de notre coté de la Seine, compter à rebours les secondes et les verres parmi quelques amis chers et beaucoup d’inconnus en solde, comme il est de coutume en cette soirée.

Peut-être est-ce ce satané crachin parisien, ou le douloureux rappel que l’univers n’est pas exclusivement peuplé de jeunes filles qui latinisent des jeux de mots idiots et offrent des bouquins d’Anaïs Nin pour Noël : ce soir-là, en dépit de tous mes efforts, j’ai énormément de mal à faire face à la médiocrité du reste de la planète…

Oui Marie-Solange, j’habite à Paris en ce moment. Non je n’ai pas trop souffert du manque de confort et de la nourriture chez ces sauvages. Que dis-tu ? Toujours rêvé d’habiter là bas? Eh bien, pourquoi n’y vas tu point t’installer et voir de quoi il en retourne ? D’un point de vue stratégique ? dis-tu, pas idéal pour ton C.V ? Plutôt dans 10 ans, en seconde partie de carrière ? lorsque tu seras sûr d’y « être attendue »? En effet, il est vrai que tu as déjà au moins 25 ans et presque fini tes études, Dieu soit loué, tu songes enfin à te poser sérieusement pour le reste de ta vie. Et le club med, tu y as pensé ? Pour le C.V., je sais pas, mais avec un peu de chance tu y trouveras bien quelque jeune moniteur de ski nautique bronzé pour te faire patienter les hormones jusqu’à la livraison de ton époux 3 pièces Armani, 5 pièces Avenue Breteuil. Je te prie de m’excuser, je crois que je vais vomir. Trop tard. Je suis désolé pour ton chemisier. Ne t’en fais pas, c’est que de la bile, ça part facilement au lavage.

Mais en fait, même à ça, je n’y arrive plus. J’ai beau avoir les hauts-le-coeur, ça ne vient pas. Dans le temps, à défaut de mieux tolérer les cons, j’arrivais à me rendre odieux efficacement. Maintenant, malgré l’ampleur de mon dégoût, les gens remarquent à peine la crispation de mon sourire de façade. Ça doit être l’âge.

Non, Charles-Benoît, tu n’es pas journaliste. Tu veux être journaliste, nuance. Malgré ce diplôme chèrement offert par tes parents et le nombres d’endroits fort peu ragoûtants où tu as laissé trainer ta langue ces derniers mois pour décrocher ces stages de repose-pied dans magazines parisiens branchés, il y a moins de journalisme en toi que dans un quart de couille gauche d’Hemingway. Même Jean-Raoul, qui montre sa bite à tout le monde depuis un quart d’heure, est plus avancé dans la voie que toi : certes, il a encore quelques détails à régler sur la littéralité du geste, mais ça me semble un début prometteur dans la profession. Tu te crois spirituel, Charles-Benoît, tu n’es que petit, fat et sans consistance, pas si différent de la bite de Jean-Raoul, en définitive.

On pourrait croire que le mépris absolu de son interlocuteur et la rage intérieure envers le genre humain sont des sentiments libérateurs, une forme de catharsis, ou tout du moins apportent quelque inavouable réconfort dans la confirmation de ses propres fantasmes de supériorité… Il n’en est rien. Il s’agit d’un sourd aveu d’impuissance, une constatation frustrante et sans joie.

Il aimait trop le genre humain pour le tolérer médiocre… songea-t-il en enfonçant un nouveau chargeur dans son fusil-mitrailleur.

P.S.: que les mânes tourmentées d’Antonin me pardonnent de lui avoir piqué ce titre. Il n’y est pour rien.

10 Comments »

  1. Et bien comme quoi tout arrive, même le premier billet 2007 du bon Docteur! Du tout bon, comme d’hab’… juste deux ou trois questions/remarques:

    1. Il est muet ou pas le « s » de Degas?
    2. Un conseil de vieux: ne fréquente QUE des jeunes filles qui offre Anaïs Nin. Surtout dans La Pléaïde.
    3. « crispation de mon sourire de façade.  » Attention, c’est comme ça qu’on chope des rides d’expression et qu’on se retrouve à 50 balais à picoler du mauvais whisky dans d’improbables conventions avec d’improbables bimbos qui viennent de trouver leur Armani, et qui essayent de vous extorquer une impossible promotion pour leur co(r)nnard HEC & MBA, et toujours ce putain d’sourire crispé en façade…
    4. D’une manière générale: éviter tous les lieux où la médiocrité et la vulgarité sont de mises. Donc éviter tous les lieux.
    (sinon juste un petit accord féminin d’un adjectif manque… sauras-tu le retrouver? Et le colorier?)

    Comment par Briscard — 15 janvier 2007 @ 11:44

  2. Bravo! Retrouvé l’accord féminin… c’est bon signe, non?…

    Comment par Briscard — 15 janvier 2007 @ 11:31

  3. Briscard

    1. Voyons, il faut bien que je laisse une part de mystère à mes relations intimes. Trouves-toi donc ta Ludivine à qui demander (évite juste de le faire sur un portable en appel intercontinental si tu ne veux pas te retrouver avec une facture sacrément salée à la fin du mois).

    2. Je m’y applique, je m’y applique (elles sont rares).

    3. En effet, faut que je fasse gaffe. Déjà qu’on est pas particulièrement gâté, mais si alors en plus il faut ressembler à Achille Zavata sous Prozac à 50 ans…

    4. J’y songe.

    4 bis. Pour les accords féminins, tu sais bien que c’est pas particulièrement ma spécialité. Je réussis beaucoup mieux les désaccords. Mais merci d’avoir attiré mon attention sur ce problème.

    Comment par dr Dave — 16 janvier 2007 @ 2:13

  4. Achille Zavata?!!! Dis-donc!

    Comment par Briscard — 16 janvier 2007 @ 10:18

  5. Si je peux ajouter au debat artistique de la plus haute importance : Hemingway ne prend qu’un « m ».

    (Ah, Artaud…)

    Comment par Sok — 16 janvier 2007 @ 11:55

  6. Si on va par là haut-le-coeur est invariable… mais faut pas non plus toujours chercher la p’tite bête, parce qu’autrement sinon le docteur va finir par fermer complètement son claque-merde! A notre grand dam, du coup.

    Comment par Briscard — 16 janvier 2007 @ 12:16

  7. Au contraire : m’attachant à l’accessoire, je montre ma superficialité, illustrant ainsi sa constatation de la médiocrité du genre humain. Prouvant qu’il a raison, je l’encourage. CQFD et AOC.

    Comment par Sok — 16 janvier 2007 @ 12:27

  8. Briscard : Zavatta, c’était pas pour toi, hein… je me contentais d’extrapoler tes observations à mon cas…

    Sok : arf toutafézeneffet. En plus je la fais à chaque fois.

    Briscard bis : Celle-là… elle est un peu volontaire. Je l’ai vue et l’ai laissée. Aucune idée pourquoi… Je sais pertinemment que haut-le-coeur est invariable (j’ai du mal avec les doublements de consonnes, mais le reste, faut pas charrier quand même), je l’ai vue deux trois fois en relisant, et j’avais pas envie de corriger. Parfois il faut pas contrarier ses envies.

    Sok bis : le pusillanime est rarement médiocre. Irritant, à la rigueur (quand il s’agit des autres, bien évidemment), mais pas nécessairement médiocre.

    Comment par dr Dave — 16 janvier 2007 @ 5:20

  9. […] Ces temps-ci, par les bons soins de mon ange-gardien, je traîne beaucoup dans les cocktail-party culturo-ministérielles. C’est la nouvelle année : tout le monde, de Monsieur le Ministre himself jusqu’au plus obscur des sous-secrétaires détachés à la Culture de la Betterave en Basse-Creuse, y va de sa cérémonie de voeux, occasion à moult allocutions verbeuses auto-fellatrices, mais toujours assortie de promesses d’une conclusion foie-gras-champagne, histoire d’assurer le quota de main clappantes tout au long durant. Dans la pratique, c’est un peu la charmante continuation des bonnes veilles traditions de cours bourbonesques, les perruques poudrées en moins. […]

    Ping par L’Automne à Paris » La Culture m’excite… — 18 janvier 2007 @ 4:20

  10. Très touchant…

    Il aimait trop le genre humain pour le tolérer médiocre…

    Ouais, je connais, et tandis que la plus part des gens rient et se délectent de la stupidité des autres, moi ça me rend triste !

    Comment par sky — 5 novembre 2009 @ 8:32

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et ignotas animum dimittit in artes