Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

18 septembre 2007

Toponymie des villes et des cœurs

Posté dans : l'Actualité, le Japon, par Dave A. à 6:11

– Have you ever heard the Japanese expression kirisute gomen, Mr. Bond?
– Spare me the Lafcadio Hearn, Blofeld.
Ian Fleming, You only Live Twice

J’ai une tendresse particulière pour la toponymie japonaise.

D’abord, parce que c’est en grande partie dans les trains tokyoïtes que j’ai laborieusement réappris à lire il y a quelques années, en m’exerçant au grès de mes trajets sur les noms de quartiers, stations, et autres indications géographiques.

Les différentes compagnies ferroviaires japonaises saupoudrent en effet traditionnellement leurs panneaux de translitérations simplifiées, écrites dans un syllabaire réduit tout aussi inaccessible au touriste occidental moyen mais en revanche parfaitement connu des enfants en bas-âge et du plus analphabète des Japonais. Ces petits cailloux de Rosette, par nécessité ou par ennui, meublèrent bien des heures passées dans les transports urbains et devinrent une présence familière indispensable, au milieu de l’océan de solitude culturelle dans lequel je commençais à l’époque à regretter de m’être plongé.

La seconde cause de mon affection est un peu la suite logique de la première : contrairement à ses homologues des pays occidentaux, la toponymie japonaise est pratiquement immuable.

En France, le moindre nom de patelin a enduré plusieurs siècles de cuisson philologique à feux doux dans le bouillon des assimilations régressives, progressives et autre dilation par triple salto arrière de la consonne double, avant d’aboutir à sa forme moderne dont la compréhension requiert consultation de la brochure du syndicat d’initiative local ou de l’un des trois derniers vieux pintés à l’armagnac encore vaguement versés dans le patois du coin. Le lieu-dit japonais, lui, fort de sa solide association à une orthographe idéographique peu fluide, a conservé tout au long le lien qui l’unit à son étymologie. Si la transparence de la toponymie japonaise ne présente aucune garantie d’explication cohérente quant au processus d’appellation, elle suffit en revanche à mettre un sourire sur des esprits simples et facilement émerveillés tels que le mien.

Au cours des années j’ai perdu le plaisir superficiel de l’étranger qui se noie volontairement dans une langue hermétique où toute situation lui apparaît alors forcément teintée de mystères exotiques. Sans regret, tant ma nature curieuse et un rien cynique s’accorde mal avec la naïveté paresseuse nécessaire pour la pratique d’un orientalisme satisfaisant. Que m’importe finalement de savoir que la conversation des gens que je côtoie dans le métro porte sur les mérites de telle marque de cosmétiques ou les variations météorologiques du moment, et non sur la beauté des fleurs de cerisier dans les rayons du soleil couchant ou l’esthétique du monde flottant dans la production artistique de Hokusai.

J’ai échangé ce droit au fantasme culturel contre celui de m’attarder sur les frivolités d’une langue qui fourmille d’associations étranges et de noms qui pour en être plus intelligibles, n’en sont pas moins mystérieux, voire exotiques.

Ces jours-ci, j’habite la Colline des Corbeaux Millénaires, je vais travailler au milieu du Village Protégé des Dieux, pas loin du Village des Grandes Mains où se trouvent les sièges de la plupart des grandes entreprises nippones et étrangères. Je passe bon nombre de mes soirées dans le dédale de ruelles du quartier de la Nouvelle Chaumière, où transite quotidiennement une trentaine de millions de Japonais, quand ce n’est pas pour aller du coté des Yeux Noirs ou bien encore diner près de la rivière à la station Eau du Thé.

La toponymie japonaise est un livre ouvert sur vingt-cinq mille histoires. À condition de maîtriser le tracé de quelques milliers de caractères, chacun doté d’une demi-douzaine de prononciations obéissant à des règles tellement variables que le terme « règle » est lui-même assez peu mérité. Comme pour beaucoup de choses ici, comprendre n’est qu’affaire de dictionnaire approprié et de patience quasi-infinie. Comme pour beaucoup de choses aussi, on est rarement plus avancé lorsque l’on a extrait le sens littéral des signes dont on est entouré.

Et ce qui marche un peu pour les stations de train marche nettement moins bien pour les relations humaines.

4 Comments »

  1. Ce qui ne facilite pas non plus les relations humaines, c’est la publication de textes, dont l’incontestable richesse sémantique est mise au service d’une puissance d’évocation sans faille, mais dont la périodicité erratique tempère l’enthousiasme ravi que le lecteur avide voudrait témoigner à l’auteur évanescent.
    ‘tain, c’est vrai, merde, tu fais chier à la fin: à peine un texte par mois, et encore, les bons semestres! Merde!

    Comment par Briscard — 19 septembre 2007 @ 3:23

  2. C’est l’avantage avec Briscard : il résume tout, cul sec !

    Comment par Shaggoo — 19 septembre 2007 @ 6:34

  3. Là, il n’a pas tort Briscard…

    Comment par potagepekinois — 24 septembre 2007 @ 2:04

  4. voué … moi je plussoie (aussi) sur Briscard … tuféchiékoi !!! ;-D

    Comment par Mel'O'Dye — 3 octobre 2007 @ 10:05

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et ignotas animum dimittit in artes