Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

17 juillet 2009

Pour de Vrai

Posté dans : l'Actualité, le Japon, par Dave A. à 2:46

La mousson Kyotoïte est l’un des pire climats du Japon. Du temps de la vieille capitale impériale, les notables avaient coutume de prendre leurs quartiers d’été dans les hauteurs avoisinantes afin d’échapper aux chaleurs insupportables de la ville : plusieurs semaines de nuits suffocantes et poisseuses à peine rafraîchies par des averses quotidiennes.

Debout sur le balcon, je cherche ma respiration et je me dis que je préférerais être au milieu d’une de ces forêts de bambou qu’on devine là-bas dans l’obscurité. Dans la vallée, les lumières vacillent sous le poids de leur propre chaleur. Derrière moi, H. suffoque à petits bruits.

Je répète inlassablement mes pauvres explications, comme si ce mantra mécanique allait tout résoudre par la force de la raison. Vaines tentatives de m’absoudre de la culpabilité qui me tord les tripes à chacune de ses larmes. Pitoyables excuses de la romance moribonde qui se noie dans le prosaïsme. Quelle que soit la langue, il est des phrases qui échouent forcément en de vulgaires clichés à peine franchies les lèvres du salaud qui les prononce, lui et toutes les générations de salauds qui l’ont précédé.

Là haut, au bord de la rivière lactée, la princesse Ori guette l’humble gardien de troupeau, son amant, resté sur l’autre rive. Par ici, il se dit qu’au soir du septième jour du septième mois lunaire, la Princesse Ori et le Gardien de Troupeau — Véga et Altaïr, comme on les appelle sous d’autres cieux — peuvent exceptionnellement franchir la rivière céleste qui les sépare toute l’année durant et s’unir jusqu’au matin. S’il devait pleuvoir ce soir-là, les flots infranchissables repousseraient leur union à l’année suivante.

Les heures s’écoulent, minute par minute, larme par larme, sans signe de se tarir. Je la regarde pleurer et j’ai comme un goût salé au fond de la gorge. Je me dis que je sacrifierais bien ma vie à ce moment précis, et je m’en tirerais à bon compte, pour ne pas avoir à soutenir son regard qui se noie en me lançant des appels au secours. Je fixe lâchement un point au hasard sur sa poitrine, comme si la réponse était là, dans les texte de remplissage en Helvetica 12 points d’un t-shirt acheté dans un magasin branché de Berlin.

Il a bien du se marrer, ce designer teuton, en songeant au pauvre imbécile qui lirait un jour ces quelques lignes inconséquentes calées sous une illustration rétro-kitsch type années 60, pour y découvrir l’une des strophes les plus déprimantes jamais écrites par Rilke. Einsamkeit ist wie ein Regen… On peut dire qu’elle tombe drue, ce soir, l’averse de solitude.

Dehors, la nuit est claire : le ciel est dégagé et pas une goutte de pluie ne menace le rendez-vous des amants étoilés.

Bienheureuse princesse Ori.

2 Comments »

  1. C’est peut-être la recette de la longévité amoureuse, une nuit de retrouvaille par an, et encore, par beau temps!
    Quelle nuit ce doit être…
    Je ne suis pas si sûre que ces deux-là soient à envier, pas plus que ce couple en rupture, mais leur histoire est belle et me voici plus cultivée, grâce à tes mots pleins de raffinement et de délicatesse.

    Comment par caramel — 24 juillet 2009 @ 3:37

  2. Une fois par an?

    C’est peu quand même…

    Comment par Dave A. — 21 août 2009 @ 2:52

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et ignotas animum dimittit in artes