Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

26 décembre 2005

Souvenir de Vacances à la Neige

Posté dans : Oncle Dave raconte..., par Dave A. à 2:07

Pour vous faire patienter de la parution de notre Spécial Japon: un petit intermède spécial Noël & Petit Jésus.

Comme plusieurs millions de terriens qui n’ont pas eu la chance de naître mahométans, ou dans un pays suffisamment pauvre pour empêcher toute considération dinde-aux-marronesque au moment des fêtes, il y a fort à parier que vous étiez hier soir occupé à célébrer le deux-mille-cinquième du fils du boss. Ou à défaut de célébrer: consciencieusement occupé à vous pinter au Dom Pérignon coupé de vodka, tout en mâchant des aiguilles de sapin pour faire passer le temps et accélérer la perte des capacités cognitives.

Vous vous dites qu’il est difficile d’égaler, en termes de sourires crispés et silences inconfortables: le moment où la tante Martha s’est enquise des ambitions reproductrices de l’inverti de la famille, la main baladeuse du grand-père libidineux sur la cuisse de la petite cousine, la bataille de traiteurs entre Belle-Maman et Jocelyne, accompagnée de commentaires fielleux sur la fraîcheur des huîtres et la qualité de cuisson de la volaille, ou bien encore le ton qui monte entre Robert, passablement éméché, et sa femme, dont le décolleté pigeonnant menace à tout instant de relâcher une paire de seins ménopausés sur la bûche, éborgnant au passage Jean-Pierre, qui n’a pas encore commencé à sangloter sur sa séparation récente d’avec Monique, mais ça ne saurait tarder…

Permettez moi dans ce cas de vous narrer cette courte anecdote, sorte de madeleine proustienne des temps modernes, dont le faible intérêt tient essentiellement à sa rigoureuse authenticité.

Le plat en céramique chinoise

L’histoire débute il y a bien longtemps, en la charmante bourgade de Saint Francisco sur Mer. Tous deux imprégnés de l’insouciance et l’innocence propres à leur jeune âge, le docteur Dave et sa tendre épouse s’étaient rendus dans l’une de ces boutiques de décoration d’intérieur qui fourmillent sur la Côte Ouest, dans le but d’y acquérir un rideau de douche à motif artistique tendance ironique post-moderne pour leur tout nouveau nid d’amour. Décidant d’un commun accord unilatéral féminin d’étendre la session d’achat à la recherche de menus objets d’amélioration de l’espace de vie, ils en étaient à décider lequel du service de verre à shots ou de celui à martini constituait une plus grande urgence domestique…

C’est alors qu’ils l’aperçurent… Coincé entre deux rayons de bougies parfumées, reposant sur un guéridon en imitation acajou tendance Indochine Mon Amour, à coté de la fontaine d’intérieur rétro-éclairée et juste derrière la reproduction de Jardin Zen (équipé avec mini-râteau et mini-gravillons garantis d’origine)… Un charmant petit plat en céramique chinoise verte, d’un modèle si unique qu’il ne pouvait guère y en avoir plus de quelques millions en circulation dans le monde…

Outre le fait que sa teinte s’accordait parfaitement avec notre intérieur, le potentiel unique de ce plat s’imposa simultanément à tous deux, dans un de ces moments de synchronicité qui ne se retrouvent qu’au sein des couples les plus soudés. Señora Dave me confirma d’une furtive dilatation de narine clindoeilesque qu’elle voyait dans ce plat le même potentiel comme accessoire indispensable à nos petites soirées entre amis.

Le plat fut donc acheté et trouva rapidement sa place dans les habitudes sociales de notre jeune couple dynamique. Sans rentrer dans les détails de nos plus ou moins fréquents séjours aux sports d’hiver, je voudrais rassurer les plus sensibles d’entre nos lecteurs qui s’imagineraient déjà quelque sordide scénario à la Sid & Nancy période Chelsea Hotel: il y eut certes d’innombrables descentes de ski durant cette période, mais sans incidents majeurs, ni même d’épisode valant la peine d’être relaté.

Quoi qu’il en soit, d’olympiade en olympiade, d’Albertville en Nakano, le plat continua sa carrière bien après que les aléas de la vie ne mirent fin à notre idylle. En ayant obtenu la garde lors de la douloureuse séparation, je jugeai bon quelque temps plus tard d’en faire don à mon colocataire plutôt que de voir combien de chiens policiers je pouvais appâter en un seul vol San Francisco-Tokyo. Lors de mon dernier passage, je pus m’assurer de visu que le changement de propriétaire n’avait en rien affecté ses fonctions, bien au contraire…

Mais pourquoi narrè-je donc cet insipide détail de ma trouble jeunesse?

Eh bien parce qu’hier soir, en plein milieu de ce bucolique réveillon familiale, quelque part entre le saumon fumé et la dinde aux marrons, acquiesçant avec monotonie aux remarques des semi-grabataires présents sur le délitement de la société et la perte des valeurs morales, je remarquai quelque chose, posé sur un coin de la nape brodée: un objet au premier abord fort anodin mais qui faillit me faire étouffer sur mon blinis…

Il s’agissait bien sûr du fameux petit plat vert en céramique chinoise. Ou plutôt d’une réplique identique, imperfections usinées comprises.

Les autres détails de ce grand moment de nostalgie hivernale se perdent dans la demi-bouteille de Grand Marnier que j’ingurgitai discrètement dans le vain espoir d’accélérer le processus d’amnésie artificielle, et que je soupçonne directement liée au caractère hautement xylocéphale de mon réveil matinal.

Un commentaire »

  1. Que veux-tu ?
    C’est le lot coutumier des agapes dites « familiales » que de se retrouver confronté aux scories d’autres familles qui n’ont point eu le temps de s’épanouir ou de prospérer tel des cancers incontrôlables.

    Il en est des plats communs comme des vies du même acabit ! Ils perdent leur sens dès que leur jouissance commune s’évanouit.
    Et il ne leur reste plus qu’une utilité fragile, voire improbable.

    Maintenant, tu sais ce qu’il en coûte de pénétrer dans un magasin attrayant, bourré de bimbeloterie tentatrice.
    Fuis, aussi vite que tu peux, avant que de ne craquer sur l’imparable petit tajine en dégradé de bleu tendre qui servira à votre premier canard aux abricots, fuis à toutes jambes.
    Fuis !
    Parce que tu risques de ne garder que le souvenir des fragrances du fruit mêlées aux sucs de la volaille… et te les remmémorer lorsque dans dix ans, tes ex-beaux parents, te reçevant par pure charité, le ressortiront bourré de pistaches.

    Commentaire by Fugitive — 26 décembre 2005 @ 10:41

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et ignotas animum dimittit in artes