Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

4 janvier 2006

Il était une fois dans l’Est [dénouement]

Posté dans : le Japon, par Dave A. à 6:34

Ce soir là, donc…

Nous tournions à effectif réduit: Skye était repartie au bras d’un des clients peu avant minuit, le plongeur philippin avait été congédié pour la soirée et le patron avait depuis longtemps entamé sa tournée des bars à hôtesses du quartier d’où il ne reviendrait, avec un peu de chance, pas avant le soir suivant pour peu qu’un coin de bar ou de trottoir accueillant ne se présente sur le laborieux chemin de son retour matutinal. Ne restaient que Pauline, moi et les restes agonisant de nos cortex cerebellum respectifs, très mal remis des excés de la veille.

Traditionnellement, Pauline s’occupait d’abreuver les ovoïdaux mugissants au tord-boyau du kentucky, tandis que je vérifiais régulièrement le niveau des bouteilles coté V.I.P., où la célébration de quelque succés commercial et l’indispensable présence d’une souriante équipe de jeunes filles en robe de soirée, chignon relevé, avait le bon goût de m’ôter toute responsabilité quant au service ce soir là. Pour le reste: décapsulages de bouteilles d’urine de félin pour les clients mâles, mélanges sucrés à la glace pilée pour le reste, comprimés de magnésium vitaminé effervescent pour le personnel…

Question vidéo, nous étions tombé d’accord pour laisser Entrer le Dragon, choix classique présentant l’avantage de ne pas pâtir outre-mesure du remplacement de sa bande-son originale par la sélection musicale du club. En fait, doublé sur fond de disco-funk, ça donnait une version hongkongaise de la Fièvre du Samedi Soir plutôt convaincante.

Pas assez abrutis par l’alcool pour alimenter les conversations éthyliques de la clientèle, peu enclins à faire un effort pour le devenir ce soir-là, nous occupions notre copieux temps libre, Pauline: à compter le nombre de haussements de sourcil de Bruce à travers le film, moi: à jouer les fonds de bouteilles du bar aux dés avec la rabatteuse du salon de massage chinois d’en face, venue se réchauffer entre deux argumentaires de vente infructueux…

Que s’est il exactement passé à ce moment?

J’étais trop occupé à tirer un second trois sous une bordée de jurons cantonais en faisant remarquer à Pauline que la classique position jambes arquées, yeux écarquillés ne saurait décemment être comptabilisée comme haussement de sourcil, pour être un témoin oculaire des événements qui menèrent à l’algarade. Des recoupements réalisés par la suite, il ressort qu’un non-respect de priorité sur la bretelle d’autoroute menant aux toilettes du club aurait donné lieu à une brève confrontation au sommet entre le capitaine de l’équipe du ballon oval et celui de la micro-finance à batte de baseball. S’agissait-il d’un appel de la vessie pressant du coté néo-zélandais, dont la courtoisie naturelle déjà très limitée ne s’améliore guère une fois passé le premier hectolitre d’alcool? Ou bien le vénérable patriarche nippon avait-il jugé bon de faire usage de sa carte vermeil pour court-circuiter une attente qu’il ne considérait pas digne de son statut? Quoi qu’il en soit, des épaules se heurtèrent, des insultes fusèrent, des regards noirs furent décochés…

C’est à ce moment que M. Matsumoto fit quelques pas en arrière…

Permettez moi d’en faire autant pour revenir sur le portrait que j’ai pu dresser de cet homme: il gagnait certes à être connu et était d’une compagnie parfaitement plaisante dans le bon contexte sociale. Que l’on ne s’y trompe pas pour autant: il savait très facilement devenir, pour peu que la situation s’y prête, un tyran vindicatif et froid qui vous ferait prendre en pitié l’occasionnel subalterne qui aurait déclenché son ire par une quelconque erreur ou un mot déplacé.

Les rugbymen, quant à eux, tiraient de leurs racines Celtes un tempérament belliqueux prompt aux échanges de coups, mais aussi, de par leur important patrimoine génétique Maori, une incapacité notoire à absorber l’alcool rangeant, en termes de dangers de la route, leur carcasse néandertalienne après trois bières aux rangs d’un semi-remorque lancé sans conducteur.

La collision frontale était dés lors inévitable.

En revanche, pour être yakuza on n’en est pas moins chef. Et à quoi bon être chef si c’est pour avoir à s’occuper en personne du moindre détail, surtout si le détail en question pèse une demi-tonne et touche les deux murs du couloir avec ses épaules. C’est donc deux des sbires de la garde rapprochée qui prirent la place de leur boss sur un hochement de tête de celui-ci. Si vous vous dites qu’à deux contre un, la confrontation perd son intérêt et ne peut que sombrer dans le tabassage en règle avec purée de Kiwi à la fin, je vous prie de croire que l’intéressé, à défaut d’avoir la supériorité du nombre, conservait amplement celle du poids cumulé, ce dont il semblait tirer une confiance tout à fait rassurante.

S’il est un point sur lequel mes professeurs de physique et d’art martiaux se seraient toujours rejoints, c’est qu’en matière d’impact, il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’énergie cinétique. Énergie dont la valeur est, je le rappelle, proportionnelle au produit de la masse par le carré de la vitesse. Ce carré à la fin de la formule, c’est ce qui fait que la petite R5 qui vient d’en face à 200 km/h fera un trou beaucoup plus gros dans votre capot qu’un platane immobile au bord de la route, bien que celui-ci soit a priori bien plus résistant que n’importe quelle carrosserie, a fortiori celles de chez Renault. C’est aussi pour ça que la jambe de Bruce qui fait un aller-retour en quelques fractions de secondes fait un trou beaucoup plus gros dans la poitrine de son adversaire que le poing de Mike Tyson, pourtant nettement plus imposant à la pesée.

Malheureusement, notre ami sportif néo-zélandais était à l’évidence très peu versé dans les finesses de la mécanique des solides et c’est donc non sans une visible surprise qu’il s’écroulait au sol quelques dizaines de secondes plus tard, infligeant au passage son unique dommage de la soirée à une table, il est vrai, non sans une aide importante des lois de la gravité.

Tant par sa brièveté que par son entorse initiale aux formes de l’art, l’échange s’était révélé relativement décevant d’un point de vue purement esthétique. Heureusement pour l’esprit du sport, les entourages respectifs des deux parties entreprirent immédiatement un match retour à effectif complet.

Et là, pour citer l’immortel Carl Douglas, ça s’est mis à kung-fu-fighter un peu partout. Un pugilat général de saloon du Far-Est en bonne et due forme, du grand spectacle!

D’ailleurs, la seule chose qui manquait vraiment à la scène était une bande-son digne de ce nom, mais j’étais trop occupé à poser des paris avec Pauline tout en mettant les bouteilles à l’abri, pour avoir la présence d’esprit d’orchestrer le tout sur les platines du club. Sans trop nous consulter sur le problème, notre politique était une de non-intervention tant que les destructions seraient limitées aux arcades sourcilières et épargneraient le gros du mobilier. Bien que fervent non-violent moi-même, je suis avant tout pour la liberté religieuse et le respect du droit à se démonter la mâchoire entre adultes consentants.

Et puis ça faisait quand même un spectacle distrayant avec à la clef une chance inespérée d’obtenir la réponse à la dernière question existentielle qui occupaient mes nuits depuis que j’avais eu le certificat de décès de Dieu entre les mains (c’est un pote qui travaille dans un mouroir pour vieux près du lac Léman qui me l’a obtenu: cancer du poumon, il avait jamais réussi à arrêter)… Yakuza ou joueur de rugby?

Vers la fin, histoire que ça dégénère pas trop et puis aussi parce qu’il y a obligation légale, il a bien fallu appeler la Loi. Non sans toutefois que Pauline n’ait annoncé suffisamment de fois à toute l’assemblée qu’il serait bon d’exécuter rapidement une sortie coté jardin, compte tenu de l’inclinaison des geôliers japonais à enfermer sans discernement, en gardant les questions pour le lendemain. En fait, la précaution était superflue puisqu’il fallut un bon quart-d’heure aux vaillants mais pas téméraires représentants des forces de l’ordre pour parcourir les presque 25 mètres séparant le commissariat central d’Azabu-Juban de notre établissement. Une lenteur que seul les esprits les plus mal placés auraient pu attribuer au fait que notre appel téléphonique ait fait mention de mots tels que: « douzaine de personnes », « violents » et « yakuzas ».

Quand la cavalerie se présenta effectivement à l’entrée du club, les intéressés avaient depuis longtemps décampé chacun de leur coté, les valides aidant les abîmés. Seul restait celui-la même dont la lourde chute avait marqué le début des hostilités, péniblement redressé contre un mur, une compresse de rhum sur le front. Dans la confusion de la retraite général, ses acolytes l’avaient plus ou moins volontairement oublié et toutes nos exhortations à quitter l’endroit par ses propres moyens avant l’imminente arrivée de la menace policière s’étaient heurtées à un regard encore plus vacant que d’usage, laissant craindre que les concussions n’aient finalement fait tomber ses déjà faibles stocks de neurones en dessous du seuil de motricité. Finalement, en l’absence d’une brouette, grue ou tout autre instrument adapté à un tel transport, nous avions préféré déléguer ce genre de responsabilité logistique aux forces de l’ordre, satisfaisant du même coup leur nécessité de justifier de leur déplacement par l’arrestation préventive d’un suspect… qu’ils seraient de toutes manières forcés de relâcher le lendemain une fois avéré qu’il ne s’agissait que d’un innocent spectateur, sans lien avec l’affaire, qui avait juste glissé sur une savonnette dans les toilettes du club.

J’en vois déjà, inquiets à l’idée que ce récit pourrait se terminer comme ces insupportables scénarios de seconde zone qui, en guise de morale ou pour s’acheter une profondeur bon marché, concluent par d’hypocrites status quo artificiels desquels ne se dégagent aucun vainqueur incontesté…

Il n’en est rien: malgré une supériorité numérique en faveur des sportifs aux hormones, et malgré l’interruption quelque peu prématurée des combats, il était indéniable au comptage des points et des dents laissées derrière que la victoire écrasante appartenait au camp des émules de Bruce. Certes, quelques bourrades néo-zélandaises assénées de-ci de-là avaient probablement mis un terme à la croissance de certains, et le rugbyman, même délesté d’importantes parties de son cartilage nasal, présente une étonnante capacité à rester en position verticale…

Mais au final, il ne fait aucun doute que l’AS Yakuza Tokyo aurait remporté l’échange haut la main.

Maintenant vous savez

4 Comments »

  1. J’ai tout lu dans un fou-rire incontrôlable, visualisant les Tontons Flingueurs…

    Mais pas prête pour autant à pardonner l’hérésie du Glenfiddich noyé…

    Commentaire by Fugitive — 13 janvier 2006 @ 7:26

  2. Fugitive

    Moi non plus, je n’ai jamais pardonné. Hélas la tradition est solidement ancré parmi les vieux lézards de comptoir japonais. Quand ce n’est pas whisky eau-chaude, c’est le non moins pardonable whisky eau-froide (mizuwari).

    Heureusement pour ma fierté nationale, sinon pour le respect des choses sensées, cette infâme habitude se contente souvent des marques locales et épargne le grain de mes ancêtres… Reste que même un Suntory 10 ans d’âge ne mérite pas vraiment ça…

    Commentaire by dr Dave — 20 janvier 2006 @ 1:27

  3. […] Ce soir-là, ou plutôt ce matin-là, on jouait pour l’addition : les deux scores les plus bas s’acquitteraient de l’intégralité des consommations du groupe. Un honneur qui n’était pas loin de m’échoir puisque Masa accaparant la dernière place, je jouais l’avant-dernière au coude à coude avec Sky qui avait pourtant raflé la plupart des questions à caractère sexuel impliquant un nombre impair de partenaires. […]

    Ping by L’Automne à Paris » Les seins de Zoé — 15 août 2006 @ 1:42

  4. […] Les seins de Zoé n’étaient pas particulièrement immenses. Ils auraient certes inspiré un certain respect à la plus opulente des Japonaises, mais rien qui n’atteigne les sommets siliconiques d’une Skye ou de la plupart des effeuilleuses professionnelles du quartier. C’était plutôt une certaine rondeur, une rondeur douce et lourde dont le contour entr’aperçu à travers un pull en laine un peu serré vous donnait instantanément des nostalgies de nourrisson, la pureté des pensées en moins. […]

    Ping by L’Automne à Paris » Les seins de Zoé pt. 2 — 30 août 2006 @ 12:53

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et ignotas animum dimittit in artes