Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

1 février 2006

Contrebande

Posté dans : Oncle Dave raconte..., par Dave A. à 3:30

A en croire certaines rumeurs, la famille aurait compté au sein de sa lignée manx quelques contrebandiers notables. Calomnies insidieuses alimentées par la découverte dans les années 1950, d’une frégate de contrebande en parfait état dans le cellier de la résidence familiale où mon illustre ancêtre l’y avait amoureusement entreposée un siècle plus tôt. La présence sur l’embarcation d’une demi-douzaine de canons en fonte indiquerait en outre quelques activités de flibusterie légère, mais comme il y a tout égard de penser que celles-ci étaient réservées à l’encontre des seules flottes françaises, l’honneur est sauf. Quant à la contrebande, rien de bien exceptionnel non plus: la moitié de l’Île de Man, noblesse comprise, s’y est toujours adonné avec passion. Il fallait bien faire tourner l’économie en attendant de remplacer le rhum par les devises étrangères et devenir l’un des paradis fiscaux du vingt-et-unième siècle.

Compte-tenu de ces prédispositions peu bienveillantes à l’encontre de la profession douanière (dans ce domaine, des noms illustres me précèdent) ainsi que d’un goût, assez atavique lui-aussi, pour un nomadisme impliquant de fréquents contacts avec celle-ci, on serait en droit à s’attendre à de nombreuses histoires d’horreur ponctuées de déversements de bile sur la corporation internationale des renifleurs de bagages enképités…

Mais en fait non.

Ce n’est pas faute d’avoir eu des idées un peu stupides dans ma folle jeunesse.

Peut-être pas stupides, à la réflexion.

Stupide, ce serait descendre en rappel de la fenêtre du dortoir des garçons pour rejoindre celui des filles quelques kilomètres de champs et forêts plus loin… ou déverser un demi-litre d’encre de Chine dans le bénitier de la sacristie… ou organiser l’évasion de la population indo-porcine de la classe de biologie du septième étage à l’aide de quelques mètres de corde, une douzaine de sacs en plastique et une légère brise ascendante…

En revanche il est peu probable que « stupidité » ne soit le terme juridique généralement retenu pour décrire le fait d’atterrir au pays de Michael Douglas en insistant pour ramener à ses amis un souvenir original de l’océan Indien, rangé soigneusement entre le premier et le second orteil de son pied gauche. En fait, « inconscient » fut l’un des termes suggérés quelques années plus tard par Alexandra, pour décrire l’usage de piles de baladeur éviscérées comme boîtes à pilules hi-tech.

Même si rétrospectivement elle avait probablement raison, il faut quand même avouer que le douanier moderne constitue de nos jours un challenge à peine digne d’être relevé. Car malgré sa malveillance et ses capacités de nuisance importantes, c’est avant tout une créature aussi stupide que prévisible, dont on se demande s’il ne le fait pas exprès parfois, juste pour endormir la méfiance des bandits. Les techniques allant du classique « trois basanés et puis j’y vais », toujours très populaire près de Roissy, où l’on est apparemment convaincu qu’il existe une loi mathématique rendant impossible la présence d’un trafiquant caucasien à la suite d’un nombre suffisant d’étrangers à la pigmentation suspecte, jusqu’au tout aussi efficace sourire ensoleillé de ma tendre et belle de l’époque, qui n’hésitait pas à ramener de ses séjours costaricains, quelques souvenirs soigneusement emballés dans un mètre de cheveux au nez et à la truffe des effectifs spécialement déployés à cet effet…

De l’autre coté du spectre des certitudes, il y a celle d’être fouillé de la tête aux pieds quand l’objet du trajet est, de près ou de loin, relié à des activités musicales. Je pense qu’il existe, quelque part à l’école de formation des douanes, un manuel qui précise que le trafiquant de drogue-type, se promène avec une guitare, un manteau en fourrure et un pantalon pattes d’eph’, utilisant des pochettes de disques de Jimmy Hendrix et Janis Joplin pour convoyer sa marchandise. Alors quand un individu se présente avec tous les signes d’une activité professionelle musicale et affirme transporter certains bagages « pour son travail », le douanier peut à peine réprimer un sourire triomphal d’anticipation. Le douanier n’aime pas le deejay, et entend bien prouver que sa haine est fondée. Heureusement, aucun deejay ne serait suffisamment stupide pour convoyer la moindre substance illicite, ou alors seulement diluée depuis longtemps dans ses veines où elle l’aide à assister au fastidieux examen individuel de chacun des trois cents disques vinyls qu’il transporte, sans perdre un sourire béat d’autant plus irritant que la fouille se révèle invariablement infructueuse.

Le passage des frontières serait donc une activité assez banale, presque distrayante, sans l’ennemi juré du vagabond intercontinental: l’officier d’immigration…

Et ça c’est un point sur lequel je n’avais pas compté quand je décidai un matin en rentrant chez moi, d’aller prendre le premier avion hors d’Heathrow…

Un commentaire »

  1. Un vrai et rare talent d’écriture, je l’ai déjà dit, mais ça ne fait pas de mal de le redire. On tutoie la littérature. Merci.

    Commentaire by Briscard — 1 février 2006 @ 10:29

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et ignotas animum dimittit in artes