Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

24 décembre 2006

Un conte de Noël

Posté dans : Contes et Légendes, par Dave A. à 11:59

« Oncle Dave, oncle Dave, tu nous racontes une histoire de Noël, hein, dis ? »
« Une histoire de Noël… Hmmn, oui, bon… D’abord, allez donc me chercher la bouteille posée là bas derrière, sur le petit meuble en acajou, non, pas le 12, celle avec le 18 que papa planque derrière le mauvais brandy. Voilà, parfait. Maintenant asseyez-vous en cercle : je vais vous raconter la merveilleuse histoire du petit ange de Noël, celui que votre maman a accroché au sommet du sapin comme tous les ans… »

« Il y a bien longtemps, dans une contrée reculée du Pole Nord, c’était la veille de Noël et les choses n’allaient pas si bien.

Effondré sur un coin de la table de réunion, le Père Noël suivait d’un oeil résigné le conseil d’administration qu’il avait convoqué d’urgence. Les négociations étaient au point mort. Les elfes refusaient de reprendre la production tant que leurs revendications n’auraient pas été entendues : passage aux 35 heures par semaine polaire et re-indexation des salaires avec prime de risque, suite au nombre d’attaques d’ours blanc dans les parkings de l’usine, en constante augmentation depuis quelques années. Le contremaître en était à s’engueuler bruyamment avec le représentant de Force Elfique Ouvrière, l’un traitant l’autre de pourriture syndicaliste sans-coeur, se prenant du social-traître exploiteur d’enfants en retour.

Dans un coin, Rudolphe, ayant rapé d’une main experte quelques copeaux de sucre-canne, était occupé à les réduire, de quelques mouvements de sa lame de rasoir, en un petit tas de poudre cristalline qui se reflétait dans le vernis de la table en cerisier noire. Après s’être penché pour faire disparaître la petite ligne de poudre d’un mouvement de truffe peu discret, il se retourna vers le Père Noël en levant un sabot accusateur : « Ça fait des années que je dis qu’il faut délocaliser, qu’un gosse Vietnamien, ça fera un aussi bon boulot que le dernier de ces feignants d’elfes de mes deux, pour le dixième du prix… Est-ce qu’on m’a écouté ? Bien sûr que non, toujours soucieux de l’image de la boîte, le qu’en dira-t-on, le bien-être des employés… Et maintenant, on est où ? On fait déjà plus le poids face à la concurrence et ces bolsheviks d’oreilles en pointe nous lâchent au pire moment de l’année. »

Sans même attendre, la réponse du Père Noël qui avait levé la tête pour faire face à la diatribe, Rudolphe se dirigeait déjà vers le mini-bar où il se versa un nouveau double-scotch qu’il avala d’un trait. Dans un sursaut d’autorité le vieil homme gronda : « Je t’ai déjà dit d’y aller mollo sur la sauce aujourd’hui. Tu crois que j’ai besoin de me prendre un 747 dans la tronche, ce soir, en plus de toutes ces conneries ? D’ailleurs, je croyais que tu étais censé régler les derniers problèmes du plan de vol… Il est où, ce plan de vol ? hein !? »
« On se calme, l’ancêtre, tu sais très bien que, même éclaté aux ecstas, je pourrais le conduire les yeux fermés, ta merde de traîneau… Pour le plan de vol, c’est Dasher et Prancer qui s’en occupent cette année, ils ont pas beaucoup apprécié les petits incidents de l’année dernière… »
« Quels incidents ? »
« Quels incidents ? Peut-être les missiles air-sol au dessus de Kaboul, ou bien les deux F-14 qui, à peine entré dans l’espace aérien américain, nous ont escorté jusqu’à La Guardia pour interrogatoire : je te préviens, cette fois-ci, je repasserai pas trois mois à Guantanamo enfermé avec un illuminé qui veut redécorer les murs de la cellule avec mes boyaux au prétexte que je suis à la solde du grand Occident… La prochaine fois, tu tomberas tout seul, mon vieux… »

C’est ce moment que choisirent les deux rennes en second pour se présenter et déplier devant un Père Noël de plus en plus bas dans son fauteuil, un large planisphère d’où un certain nombre de pays avaient été rayés au marqueur noir. Restaient à peu près une douzaine de petites zones claires, réparties uniformément sur toute la surface.
« Qu’est-ce que c’est, ça ? » demanda-t-il, un doigt tremblant vers l’une des nombreuses zones barrées.
« Ça, c’est les destinations qu’on élimine de la tournée cette année… »

Le hurlement guttural et inhumain du Père Noël s’éleva alors jusqu’aux cieux, où justement on était en train de débattre de ce qui semblait s’annoncer comme la plus grave crise de Noël depuis la sortie du dernier album de cantiques chanté par Tino Rossi… »

à suivre…

4 Comments »

  1. J’ai croisé quelqu’un dans le métro hier soir qui lisait ce qui ressemblait à un manuscrit intitulé « Un conte de Noël ». Un rapport ?

    Comment par RomainB — 27 décembre 2006 @ 8:00

  2. […] Alors même qu’au Pôle Nord se déroulaient les terribles événements que je vous narrai naguère, quelques kilomètres plus haut, au QG de la Jesus Incorporated, le Cortège Céleste suivait anxieusement les déboires du Père Noël, songeant avec effroi au coût faramineux qu’entraînerait une annulation de dernière minute et la nécessité de rembourser toutes les pré-ventes sur l’événement. […]

    Ping par L’Automne à Paris » Un conte de Noël (suite et fin) — 27 décembre 2006 @ 8:34

  3. RomainB

    Très probablement. Il s’agit bien d’une histoire universelle, un témoignage de la Bonne Volonté et de l’Amour entre les Hommes en ce bas-monde au moment des fêtes…

    Comment par dr Dave — 27 décembre 2006 @ 8:48

  4. Je me régale…

    Comment par Briscard — 28 décembre 2006 @ 7:36

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et ignotas animum dimittit in artes