Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

26 septembre 2006

La dernière minute (pt. 1)

Posté dans : la Californie, par Dave A. à 2:25

Bon… Je sens qu’on en a tous marre du style télénovella de fin d’été qui règne sur ces pages, alors aujourd’hui on va changer un peu le décor.

Je vais vous parler de mon époque ponque.

Ma seconde époque ponque, pour être exact… Puisqu’il y eut bien une première époque ponque, mais celle-ci se situant à l’âge où tous les ados normalement constitués se font tatouer des toiles d’araignées sur les coudes, boivent des bières et squattent des entrepôts abandonnés, il n’y a guère matière à s’y attarder. La seconde non plus, d’ailleurs. Sauf qu’entre les deux, j’avais appris à apprécier à leur juste valeur les apports inégalables d’une literie de qualité et d’une hygiène corporelle moins négligée pour les interminables séances d’accouplement frénétique qui rythment la journée du ponque amoureux.

Mais avant d’en arriver là…

C’était la fin de ma vie à San Francisco. En tout cas ça se profilait à l’horizon brumeux. J’avais finalement pris la décision d’aller voir ailleurs. Essentiellement parce que, n’en déplaise à certains, il n’est aucun problème qu’un billet aller-simple pour un patelin inconnu à l’autre bout du monde ne puisse aider à résoudre, fût-ce en vous plongeant dans une toute nouvelle catégorie d’emmerdes propres à vous faire regretter les précédentes.

OK. C’est pas vrai. Même si scénaristiquement, ça rendrait beaucoup mieux : le héros au regard sombre qui s’en va, le coeur brisé, noyer son chagrin dans le rhum et les femmes des îles lointaines, c’est pas du tout comme ça que ça s’est passé. En fait, c’est seulement quand je commençais à avoir mes habitudes dans le confort du trente-deuxième dessous où j’avais fini par remonter après un long séjour au trente-sixième, que je pris la décision de boucler ce chapitre de ma vie. D’abord, parce que précédemment, j’étais beaucoup trop occupé à faire de la spéléologie cérébrale sous opiacés pour envisager un instant de prendre l’avion. Ensuite parce que je n’aime pas vraiment les fuites honteuses… C’est mon coté cabotin, résultat d’un abus d’Arsène Lupin en bas âge : il me faut pouvoir faire un dernier tour de scène avec un sourire forcé et la canne faussement nonchalante, avant de décamper en boitillant comme si de rien n’était.

En l’occurrence, ça m’avait pris quelque temps pour rebondir, mais je vivais finalement à bien des égards la vie rêvée de l’artiste libre : non seulement j’étais payé pour mon art, mais cet « art » consistait exclusivement à promener mes goût musicaux dans le monde hédoniste des soirées san franciscaines, où mon ascension au sein de la petite aristocratie locale fournissait le massage d’ego quotidien avec rinçage aux substances offert par la maison. Pour parfaire l’ensemble, je consacrais une douzaine d’heures par semaine à l’enseignement grassement rémunéré de langues exotiques à des jeunes yuppies en mal de hobbies qui ne tarissaient pas d’éloges sur mes méthodes pédagogiques auprès de l’organisation gouvernementale qui m’employait. Jouant de mon mieux le rôle de l’enseignant strict et blasé, je parvenais avec succès à escamoter à mes classes le fait que j’étais en âge d’être le fils caché d’un bon tiers d’entre eux, la maturité en moins. Apparemment, j’étais plutôt convaincant dans cette imposture, puisque certaines semblaient même décidées à assouvir, avec quelque retard et dans des conditions moins périlleuses pour leurs études révolues, de vieux fantasmes estudiantins où votre serviteur aurait tenu l’improbable rôle de Mister Robinson.

Je passais le reste de mon temps, c’est à dire la majorité, au soleil, en cafés, discussions et lectures.

Bref tout allait pour le mieux et il était grand temps de s’exiler, de préférence vers un endroit hostile et inconnu, et non sans m’être préalablement débarrassé de la quasi-intégralité de mes possessions terrestres, pour parfaire le côté mystique.

J’en étais précisément à cette dernière étape lorsque je rencontrai Deirdre.

En fait, je n’aurais probablement jamais rencontré Deirdre, si, après m’être délesté à vil prix de tous mes biens ne tenant pas dans un sac de voyage, je n’avais pas officiellement annoncé à mes colocataires mon intention de libérer très prochainement la chambre que j’occupais. Deirdre était l’heureuse gagnante, parmi quelques douzaines de petites annonces et de recommandations personnelles, de la très typique loterie des colocations vacantes. À ce titre, elle héritait de ma chambre, un joli bout de maison edwardienne ensoleillé, situé dans un quartier central, d’avant-garde, miraculeusement épargné par la gentrification omniprésente et en outre préservé de l’inflation immobilière par les bienfaits des lois locatives san franciscaines et de la sacro-sainte chaîne de colocataires teneurs de bail ininterrompue depuis la décennie précédente. Théoriquement, la chambre était encore mienne pour quelques semaines, mais je m’étais entendu avec mes colocataires pour la céder prématurément en m’accommodant du canapé du salon jusqu’à mon départ. La part de gain de loyer représentant, suivant les personnes concernées, un apport non négligeable au budget soja, ganja ou kérosène de chacun.

C’est donc le jour où je m’occupai à répartir les derniers mètres cubes de ma vie californienne avec l’aide de quelques amis, que Deirdre emménageait dans ma chambre où trônait encore le lit pharaonesque que je n’avais eu ni le temps, ni vraiment le coeur, de mettre en vente sur l’irremplaçable Liste de Craig. Compte tenu des besoins mobiliers de Deirdre (élevés) et après rapide évaluation de ses capacités financières (basses), je lui cédais, en échange de la promesse qu’elle y honorerait dignement ma mémoire et d’une bière au café du coin.

Ce qui marquait en premier chez Deirdre, c’était à quel point le nom incroyablement ridicule dont l’avaient affublé ses cruels parents ne lui allait pas. Déjà, porter un prénom évocateur de grands-mères poussiéreuses tanguant doucement sur leur rocking-chair en osier quelque part au fin-fond de la Louisiane, c’est plutôt dur lorsque l’on est né à la fin du vingtième siècle… Mais quand en plus on se situe à l’extrême opposée de la diaphane jeune fille en jupe à fleurs et regard éthéré, pour adopter plutôt l’apparence vestimentaire de la post-adolescente rebelle et insoumise, la confusion des genres en devient presque comique.

Deirdre n’était pas particulièrement mignonne, et s’en fichait d’ailleurs éperdument. Sa dégaine de garçon manqué et ses poses outrancières d’adolescente capricieuse lui ôtaient facilement plusieurs années, qu’elle reprenait aussitôt dans votre dos en y plantant ses piques verbales trempées à l’acide d’une vie chaotique. En y regardant de plus près, on comprenait un peu pourquoi ses parents avaient pu un instant croire que le nom de l’arrière-grand-mère européenne ne lui irait pas si mal : sous sa coupe au bol de rousseur, ses tâches assorties et ses yeux verts un peu myopes, on devinait presque la petite fille timide et fragile, qui cachait mal son âme à vif en balançant le bout de ses Doc Martens dans l’entrejambe du fâcheux trop entreprenant du bistro où nous allions célébrer l’avènement de nos déménagements respectifs.

Beaucoup plus tard, sur le canapé de nos pénates communes, bien après le départ du dernier de nos amis, nous étions engagés, dans une interminable conversation existentielle, entrecoupée de passages d’une crudité verbale à faire passer Henry Miller pour un maître du sous-entendu et de l’ambiguïté littéraire.

Comment nous réussîmes ce soir-là à nous séparer sur un chaste bonsoir, à traverser l’épaisseur palpable de phéromones qui emplissait la pièce pour nous rendre à nos couches respectives sans que la confrontation ne dégénère aussitôt en viol consentant mutuel… est un mystère que je ne m’explique toujours pas tout à fait à ce jour…

[la suite…]

6 Comments »

  1. Tu viens dire la suite au Balto? Parce qu’on dira ce qu’on voudra, mais tu racontes bien, mon salaud! Sinon Deirdre, ces Doc c’étaient pas des 8 eyes coquées des fois ?…

    Commentaire by Briscard — 26 septembre 2006 @ 1:33

  2. Ce serait avec plaisir… Mais tu n’es pas sans ignorer mes énormes problèmes de ponctualité. Si je donnais rendez-vous à Vébé pour m’écouter ruminer à une heure donnée, il y aurait des chances qu’il m’y attende toujours la semaine suivante, avec les conséquences désastreuses pour son foie qu’on imagine…
    Mais c’est pas parce que je l’ouvre pas que je suis pas là, assis dans le fond avec mon diabolo menthe…

    Et pour les docs, elle était plutôt montantes, façon bottes et jupe écossaise plissée. Ponque old school, quoi. Plus long à enlever en cas d’urgence, mais pas tellement un problème du moment qu’il n’y a rien sous la jupe.

    Commentaire by dr Dave — 28 septembre 2006 @ 1:26

  3. Mmmmm, j’vois bien… ça d’vait être des 14 trous; aujourd’hui y font des Docs zippées… pour les enlever, en cas de pantalon, ç’est plus rapide, mais je suis bien d’accord, ça vaut pas la Doc classique avec le kilt sans rien en-dessous… ‘tain, v’la que j’m’échauffe dès l’matin!

    Commentaire by Briscard — 28 septembre 2006 @ 10:14

  4. […] En attendant une hypothétique suite au récit de mes aventures pistolosexuelles d’antan, je vous propose un petit jeu. Un jeu qui n’a rien à voir avec les mots, et pas grand chose à voir avec ce blog non plus, d’ailleurs… Un jeu musical. […]

    Ping by L’Automne à Paris » Un petit jeu — 30 septembre 2006 @ 2:33

  5. […] Petit intermède. J’avais prévu de reprendre là où j’ai laissé l’autre jour (promis ma Brisquette : on y reviendra)… Mais j’ai pas eu une minute à y mettre cette semaine : avant-hier, c’est Kheir, invoquant Allah sans arrêter un instant de reluquer le cul pas très hallal du serveur, qui nous a inopinément laissé avec deux bouteilles de vin de Sicile à finir à deux. Hier, tardivement libéré de mes obligations, je finissais ma soirée dans un café du onzième à attendre en vain une élusive à qui j’avais promis un lait-fraise (bon, ok, je faisais pas qu’attendre). Bref, il faudra pour l’instant se contenter de mes notes du mois dernier, recousues à la machine en attendant mieux. […]

    Ping by L’Automne à Paris » Trois week-ends en Septembre (pt. 1) — 5 octobre 2006 @ 8:12

  6. […] Ce matin là, sur Howard et Sixième, il faisait un temps radieux de fin de printemps san franciscain, les petits-oiseaux chantaient pas, mais le voisin avait déjà mis à plein volume son disque favori de polka mexicaine, le soleil s’était levé sans m’attendre, et à part une légère douleur hypertrophique résiduelle à l’entrejambe, j’étais en pleine forme. La veille, j’avais donné, vendu, recyclé, brûlé, ingéré, prisé ou mis en orbite la quasi-totalité de mes possessions terrestres. J’étais plus léger de plusieurs mètres cubes et presque prêt à m’envoler vers un autre continent. Mais pas vraiment pressé non plus. Avec ou sans mobilier scandinave et lit triple-matelassé, j’aimais bien ma routine indolente de l’époque. […]

    Ping by L’Automne à Paris » La Dernière minute (pt. 2) — 26 janvier 2007 @ 4:21

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et ignotas animum dimittit in artes