Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…
19 juillet 2014
On prenait tranquillement le thé dans un salon un peu guindé de Ginza, quand Eiko m’a demandé si je l’accompagnerais pas à sa première soirée fétichiste. Une vraie, avec du S, du M, du Q et un demi alphabet d’autres déviances sexuelles. Sur l’instant, je me tâtais un peu. Principalement parce que je n’étais vraiment pas habillé pour l’occasion et je portais la paire de Ferragamo que j’aime bien. En plus, le sexe d’après-midi, c’est comme le petit-déjeuner : plus plaisant en nombre restreint et à proximité d’un lit.
Renseignement pris, j’avais une semaine pour trouver quelque chose de moins coûteux et plus facile à ravoir à l’eau de javel que le cuir italien.
À part ça, j’étais partant. C’est d’ailleurs probablement pour ça qu’Eiko m’avait demandé, en dépit du caractère raisonablement peu dévêtu de nos sorties nocturnes habituelles : je suis toujours partant. Surtout quand il s’agit de porter des costumes et s’adonner à des activités douteuses voire illégales. Heureusement que j’habite pas dans le Mississipi des années 60 : sur un malentendu, je me serais probablement retrouvé avec un drap de lit sur la tête en train de mettre le feu à des églises Afro-américaines.
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4 août 2012
Les dernières notes d’Iggy, ou plutôt de notre piètre restitution, résonnent encore dans l’air lorsque nous refaisons surface en plein Dotombori, au milieu des bars et karaokés somnolents. Les cicadas ont pris le relais dans un petit jour étonnamment peu étouffant pour une fin de juillet dans le Kansai.
Certains matins fleurent l’euphorie et les bouffées éthyliques, d’autres la défaite et les hoquets d’alcools qu’on commence déjà à regretter. Celui-ci sent juste la satisfaction d’une sortie qui s’arrête au bon moment et au bon endroit. C’est rare un équilibre aussi parfait.
J’embrasse à deux bras Vicky en rebondissant chastement sur sa poitrine, fais un petit signe de la main à Daphne, et m’éloigne vers mon quai matutinal. Je suis tellement absorbé par mon roman d’espions et d’aspirateurs en territoire cubain, que je remarque à peine deux autres pratiquantes des nuits pas claires sinon blanches, qui attendent elles-aussi leur citrouille et me sourient d’un air presque insistant à chaque fois que je lève les yeux. Après tout, aucune raison de ne pas sourire par un si joli matin d’été.
Quand l’express Osaka-Kyoto ouvre finalement ses portes, je m’assois machinalement sans quitter mon livre, mais en remarquant tout de même que c’est mon bout de banquette, de toutes celles du wagon presque vide, que les deux sourires ont décidé d’occuper. Leurs visages ont l’âge indéfini de ces japonaises qui pourraient avoir 20 ou 40 ans, trahis uniquement par leur intonation post-adolescente et de fréquents tapotements sur des portables maquillés comme des jouets pour adultes. Celle qui s’est assise à côté de moi porte ce petit bandeau garçonne façon Année Folles qui a envahi le Japon depuis quelques mois. Sur la longue chevelure brune des japonaises, la note résultante penche plus vers Pocahontas que vers Kiki de Montparnasse, mais le pays a certainement vu pire mode vestimentaire par le passé.
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6 décembre 2010
Dyong…
« Un dixième de tour… »
Dyyoong…
« Non, dans l’autre sens, une plume de quart-de-ton en dessous, je dirais. »
Dong !
« Parfait ! Bon, on passe au Sol, maintenant. »
Accorder un vieux piano, c’est beaucoup plus dur qu’il n’y parait. Quand en prime, on dispose pour seul outillage d’une clef anglaise extirpée des entrailles d’un chalet poussiéreux, c’est des coups à y passer un après-midi entier. Heureusement on n’est pas trop pressé : pas de ski aujourd’hui et à part aller prendre un verre de la Noël chez le couple de vieux en face, notre agenda mondain est plutôt dégagé.
Iryna tapote patiemment les touches une par une. Le chat observe avec un intérêt non-feint et renouvelé à chaque fois qu’une note discordante vient lui faire friser les moustaches. Debout en équilibre sur un vieux tabouret, je m’efforce de faire bouger des chevilles qui se souviennent probablement de la première ascension de Frisson-Roche.
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8 juillet 2010
Vu d’en haut, le combat pour la nuit berlinoise est bien inégal.
Dans les rues, une obscurité tellement glaciale qu’elle étouffe sans difficulté la lueur chétive des réverbères au gaz, assiège les dernières poches de résistance autour d’Alexanderplatz et Prenzlauer. A hauteur d’yeux, dans la distance, quelques néons commerciaux marquent sans entrain les rares gratte-ciels de la ville. La Fernsehturm avec son profile incongru de film SF des années 50 en serait presque rendue digne… Au milieu : des flocons en suspension s’attardent à quelques mètres de la baie vitrée, transformée en vue aquatique des profondeurs…
Le restaurant qui s’étale dans mon dos est typique des goûts d’Erik: sophistiqué, cher et culinairement médiocre. De longues listes d’ingrédients faussement exotiques maquillent l’indigence de la carte, tandis que la fraicheur des mojitos et le décolleté des hôtesses s’efforcent de palier au reste. Pour la plupart des convives, il s’agit surtout de donner un prétexte à quelques aller-retours de fourchette entre deux cocktails. Je me suis levé au détour d’un battement de conversation, sans m’encombrer d’excuses auprès d’Anja qui ne s’en est guère émue. La bienséance n’est qu’une convention érigée pour ostraciser les rustres ; entre gens de bonne compagnie, toute politesse est superflue.
Tout à ma contemplation du ballet météorologique, j’essaie de déceler les symptômes d’un accès de misanthropie comme ces réunions en provoquent assez souvent chez moi, mais étrangement non, ce soir je suis plutôt en paix avec l’humanité.
Je regarde Erik échanger avec sa mère dans un allemand hésitant, passer au français, qu’elle maîtrise mal, puis finalement à l’anglais, compromis impersonnel mais efficace. Les mots langue maternelle, et toute la symbolique de son absence, s’imposent d’eux même. Muttersprache. Mother tongue. Charlotte, qui a grandit à Boston, parle très bien le français maintenant, quoiqu’avec un léger accent vaudois. Roman me rejoint devant la vitre et me tends nonchalamment quelques flocons que j’écrase entre deux pièces d’un euro. Là encore, l’ironie du symbole m’effleure. J’aspire mes deux euros, prends la cigarette que Roman m’a allumée et regarde son reflet jouer à poser son chapeau sur ma tête.
Malgré notre tendresse les uns pour les autres, il y a bien longtemps que nous n’avons plus grand chose en commun, ni par les goûts ni par les préoccupations, ni même par les ambitions. Et pourtant tout semble naturel, fluide, familier et presque confortable. C’est peut-être ça, l’atavisme.
[audio:BesteFreundin.mp3]
1 décembre 2009
Tous les jours, je me rends au laboratoire en bicyclette.
Le matin, j’emprunte une petite route en promontoire qui serpente le long du fleuve : entre les reflets argentés des galets, les maisons en bois alignées sur la rive en face et les montagnes tout autour, on se croirait dans une vallée des Alpes. À part les automobilistes, qui se sentent peu concernés par la nonchalance helvétique, et ne partagent qu’à contre cœur l’étroite route à double sens avec les amateurs d’air champêtre en deux-roues.
Le soir, je coupe par les terres et navigue les chemins de rizière à la seule lueur de ma dynamo. À choisir mes risques, plutôt finir dans cinquante centimètres d’eau boueuse, qu’aplati entre deux semi-remorques.
J’aime bien ma routine du soir, où la nécessité de tenir un guidon plutôt qu’un livre ou un bloc-note, me force à passer vingt minutes en tête-à-tête avec mes pensées. C’est fou, les choses dont on se souvient lorsque l’on n’essaie pas de réfléchir à quelque chose. Un ami qui avait fait le tour du monde en vélo m’avait confié qu’il occupait les étapes les plus monotones de son périple en se récitant des quatrains : les alexandrins se plieraient naturellement au rythme des coups de pédale sur une respiration régulière. Il avait raison.
L’air vespéral a le parfum distinct des soirées d’automne, vivifiant mais pas encore glacial, un air au goût délicieux, comme on dit par ici.
Parfois, en pédalant dans ma campagne crépusculaire, je ne peux m’empêcher de penser aux curés de Bernanos, sans vraiment savoir pourquoi.
Je me demande s’il existe un bovarysme heureux.
21 août 2009
À Singapour, tout le monde court.
En petites foulées. Le plus souvent à deux, mais parfois par groupes de trois ou quatre. Sur les trottoirs, d’un parc à l’autre, le long de la Marina, autour de la résidence, le long des cours de golf, dans les allées du Jardin Botanique, entre deux massifs d’orchidées.
Singapour est une ville où respirer en temps normal donnerait des envies de branchies à Emil Zátopek et où pas un expatrié ne songerait à se rendre à un rendez-vous d’affaires dans la tour voisine sans emprunter un taxi. Ici, faire du jogging, c’est dire au monde que, malgré le chauffeur privé et la terrasse climatisée, on ne va pas s’arrêter là : pas question de se laisser rattrapper. Le jogging n’est pas une activité sportive, c’est un statut.
Le mini-short griffé et la queue de cheval dépassant de la casquette de golf, les jeunes locales ambitieuses veillent à maintenir le profil callipyge qui, dans leur tailleur d’assistante-analyste à Brothers & Brothers, finira bien un jour par leur rapporter ce mari doté d’un bureau en coin, résidence avec piscine et armée de domestiques philippins, dont elles rêvent le weekend en parcourant les boutiques de luxe d’Orchard Road. Devant elles, la génération précédente, les traits un peu plus tirés, mais le short un peu plus griffé, sue à grosses gouttes pour garder sa place et sa piscine.
Des types qui doivent s’appeler Josh ou Skip, avec des têtes à faire du rééquilibrage de portfolio en trading quantitatif, tirent leur choléstérol de comptables vieillissants mais dynamiques, accompagnés parfois par quelques juniors pas forcément plus en forme, à qui il faut bien montrer qui dirige la meute.
Bien sûr, il se trouve toujours un ouvrier malais ou un livreur indien pour gâcher l’harmonie de ce ballet de sueur aristocratique par une course à motifs bassement utilitaires. Le pas moins rythmé, la transpiration moins nonchalante, ils en donneraient presque honte aux gens aisés de courir sans but et sans raison.
17 juillet 2009
La mousson Kyotoïte est l’un des pire climats du Japon. Du temps de la vieille capitale impériale, les notables avaient coutume de prendre leurs quartiers d’été dans les hauteurs avoisinantes afin d’échapper aux chaleurs insupportables de la ville : plusieurs semaines de nuits suffocantes et poisseuses à peine rafraîchies par des averses quotidiennes.
Debout sur le balcon, je cherche ma respiration et je me dis que je préférerais être au milieu d’une de ces forêts de bambou qu’on devine là-bas dans l’obscurité. Dans la vallée, les lumières vacillent sous le poids de leur propre chaleur. Derrière moi, H. suffoque à petits bruits.
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28 décembre 2008
Quand la limousine à vitres teintées s’est arrêtée au coin de la rue, on a hésité quelques secondes. Et puis comme rien ne bougeait autour, Lauren a décidé qu’elle préférait risquer le kidnapping à la marche…
On est à peine à l’intérieur, que le conducteur abaisse la vitre de séparation, fait un signe vague en direction des banquettes et redémarre avant même d’ouvrir la bouche.
« Larry m’a appelé. Vous avez de la chance, j’étais censé finir dans deux heures, mais les clients précédents ont rendu l’âme plus tôt que prévu. »
Remarquant nos haussements de sourcil interrogateurs dans son rétroviseur, il précise :
« Mort par overdose de Veuve Cliquot. Rien de bien méchant, ils s’en remettront. La veste à 5000 balles de monsieur et les tapis rouges de la réception du Mark Hopkins : probablement moins.
Bon, on va où ? Vous êtes pressés au fait ?
— Non, ça va. Pas d’urgence. Le plan du reste de la soirée n’a pas encore été étudié avec précision, mais on va y réfléchir. »
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13 décembre 2008
Le téléphone décroche à la troisième sonnerie : au moins une de trop, plusieurs secondes de plus qu’il n’en faut pour étendre le bras vers un tableau de bord, c’est pas bon signe.
« Larry ?
— Lui-même.
— Toujours en affaires?
— Plus que jamais. »
Larry, depuis dix ans, c’est mon chauffeur de taxi attitré. À San Francisco, ville riche en colines et pauvre en transports, où les taxis choisissent leurs courses avec une minutie dédaigneuse et ne s’aventurent guère hors de Union Square après 2 heures du matin, il est indispensable d’en connaître au moins un ou deux par leur prénom. Ou d’aimer les marches nocturnes.
« J’aurais besoin de roues au coin de 16è et 8è, c’est envisageable ?
— Ça dépend : c’est urgent ? On vient de dépasser Fresno et même en tenant notre moyenne et en évitant les accidents de coyote, on en a encore pour six heures avant Vegas, un peu plus pour le retour.
— Las Vegas ? C’est pas un peu hors de ta juridiction ?
— Candy et Felicity avaient une urgence professionnelle. Tu me connais, je ne peux rien refuser à deux demoiselles en détresse et en tenue légère. »
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18 décembre 2007
Father McKenzie wiping the dirt from his hands as he walks from the grave
No one was saved.
Eleanor Rigby
Les enterrements sont des cérémonies paradoxales, en cela que l’on s’acharne à les rendre mémorables, mais tout le monde voudrait pouvoir les oublier aussitôt.
Vous avez déjà vu un photographe officiel à un enterrement, vous?
On se resserre un peu autour du cercueil, s’il vous plaît, je n’arrive pas à faire tenir tout le monde dans le champ… Maintenant le défunt avec seulement les enfants… Bon, après ça : quelques photos en extérieur, avec le soleil couchant dans les ormes du cimetière?
Il y a essentiellement deux types d’enterrements : ceux où l’on se rend pour le mort et ceux où l’on accompagne les vivants. Ceux dont en fin de compte, on garde peu de souvenirs, trop occupé à surnager dans sa peine pour faire attention au reste… Et ceux dont chaque minute austère et inconfortable s’imprime à l’encre de la douleur ambiante.
C’est dans ces cas là que les détails les plus idiots prennent de ridicules proportions. De minuscules angoisses sociales qui se transforment en interminables débats intérieurs : des questionnement sur la couleur de sa cravate, le nombre de boutons de sa veste ou la tournure exacte du cliché condoléancieux qu’il sera de bon ton de prononcer, sans chercher l’originalité ou la sincérité. Et puis à coté, pendant que je m’interroge sur mon choix de boutons de manchette, il y a un mort et des gens qui pleurent.
Bien sûr, je la ressens aussi, cette tristesse qui m’entoure. Un peu par empathie, un peu par un égoïste réflexe d’identification. En fait, je me souviens surtout des dernières fois où c’était moi, celui pour qui rien n’avait d’importance, celui qui serait venu en jeans et baskets, sachant bien que les morts s’en foutent, autant que je me foutais des vivants en ces occasions.
Ce jour là, c’était pour les vivants que j’étais venu. Debout, les yeux baissés dans la contemplation de ma paire de gants.
Et puis tu as pris la parole.
Immédiatement, je ne t’ai pas aimé.
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18 septembre 2007
– Have you ever heard the Japanese expression kirisute gomen, Mr. Bond?
– Spare me the Lafcadio Hearn, Blofeld.
Ian Fleming, You only Live Twice
J’ai une tendresse particulière pour la toponymie japonaise.
D’abord, parce que c’est en grande partie dans les trains tokyoïtes que j’ai laborieusement réappris à lire il y a quelques années, en m’exerçant au grès de mes trajets sur les noms de quartiers, stations, et autres indications géographiques.
Les différentes compagnies ferroviaires japonaises saupoudrent en effet traditionnellement leurs panneaux de translitérations simplifiées, écrites dans un syllabaire réduit tout aussi inaccessible au touriste occidental moyen mais en revanche parfaitement connu des enfants en bas-âge et du plus analphabète des Japonais. Ces petits cailloux de Rosette, par nécessité ou par ennui, meublèrent bien des heures passées dans les transports urbains et devinrent une présence familière indispensable, au milieu de l’océan de solitude culturelle dans lequel je commençais à l’époque à regretter de m’être plongé.
La seconde cause de mon affection est un peu la suite logique de la première : contrairement à ses homologues des pays occidentaux, la toponymie japonaise est pratiquement immuable.
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3 août 2007
[À en croire le vendeur de ma papeterie locale, l’absence de sortie USB sur mon Moleskine serait tout à fait normale et il n’existerait pas de méthode pour en transférer le contenu sur ce blog, autre que par insertion manuelle et lettre-à-lettre des phrases à peine lisibles griffonnées durant mon précédent séjour loin des cieux informatisés qui sont usuellement miens. On peut dire que je me suis bien fait avoir.]
Comme d’habitude, le choc de l’arrivée est rude. Je sais pas si c’est la moiteur de l’air qui flotte mollement au dessus du tarmac, ou la douzaine de mini-bouteilles de piquette violacée gracieusement offertes par l’hôtesse durant le vol, mais j’ai les tempes un peu bruyantes. Quelques minutes pour trouver mon chemin dans les halls flambant neufs de Suvarnabhumi. Le temps de cornaquer mon troupeau de valises jusqu’à la consigne, d’en extraire mon minuscule sac de survie et c’est avec la respiration un peu moins courte que je me dirige vers la sortie, où m’attend Ian, facilement reconnaissable au milieu des locaux à sa stature de gentil bûcheron canadien.
Ian a depuis longtemps assimilé les deux principes fondamentaux du code de la route thaïlandais: résignation bouddhiste face à une mort potentiellement imminente d’une part, conformation à l’écosystème établi d’autre part. En l’occurrence, sa cylindrée japonaise impose le respect (et la priorité) aux insignifiants tuk-tuk, mais se doit de le céder sans discussion aux conducteurs de mini-bus qui ne croient eux, ni en Dieu, ni aux feux rouges.
En traversant la véranda avec mon petit baluchon couvert de poussière, j’avise deux jeux d’échecs au milieu des tabourets en acajou. Ian attrape mon regard et me promet que nous aurons l’occasion de nous adonner à quelques interminables parties un soir prochain. Il conclue son hochement de tête par un sourire un peu mauvais dont je ne déchiffre pas bien le sens sur le moment.
Ajarn Sao, le professeur, n’a guère changé : sa stature de vieillard malingre contraste toujours autant avec ses mouvements souples et assurés et il lance ses petits éclats de rire caractéristiques à tout bout de champs dans la conversation qui se tient en bribes de japonais et d’anglais, autour des thés glacés au lait de coco qu’il nous a servi. Il se souvient parfaitement de ma dernière visite et semble authentiquement ravi que j’ai fini par accepter cette invitation, somme toute lancée à la légère et plus comme une politesse qu’une véritable attente. Je vérifie que Ian l’a bien entretenu des ambitions fort limitées de mon séjour et le remercie profusément de tolérer ma présence temporaire pour d’aussi insignifiants motifs. Il m’assure que cela ne perturbera en rien le déroulement habituel de ses leçons mais qu’il me faudra me plier aux règles de l’endroit. Je lui réponds que cela sera un plaisir. Il arbore alors le même petit sourire que Ian quelques instants plus tôt, moins narquois, tout aussi mystérieux.
Ian m’a bien donné tout mon équipement la veille: de quoi couvrir mes tibias, mes avant-bras ainsi que toute autre partie de mon anatomie impliquée d’une manière ou d’une autre dans des activités respiratoires, intellectuelles ou procréatrices. Mais Ajarn Sao m’indique que je peux m’en débarrasser pour le moment : mon seul adversaire durant les deux premières journées de mise-en-condition se tient sur un seul pied, fixé du sol au plafond, et ne renvoie pas les coups. En revanche, lui non plus ne porte pas de protection, et ça c’est fort regrettable comme je suis sur le point de le découvrir.
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24 juin 2007
Alors : la bonne (?) nouvelle, c’est que je suis arrivé à ma destination finale et ai, de ce fait, regagné plein accès aux merveilleuses technologies de l’interweb. La mauvaise, c’est qu’étant extrêmement radin parcimonieux de nature, j’en ai profité pour remballer l’autre billet auto-posté dont l’apparition quasi-magique était prévue pour hier matin. Je sais c’est fourbe, mais je le garde bien au chaud dans mon escarcelle pour des temps de disette, on sait jamais.
En contrepartie, je vais tenter de faire un effort cet été pour vous filer du frais au-jour-le-jour, profitant du cadre de vie exotiquement orientalisant qui sera le mien pour les quelques mois à venir. Du quotidien, comme par exemple les étranges événements qui ont précédé à ma présente rentrée casanière matutinale : sobre comme un champ de blé mormon malgré les forts relents de savane matinés d’arôme de tabac froid sauvage émanant de ma chemise et possesseur bien malgré moi d’une petite culotte en dentelle rose bonbon, enfouie – je crois – dans la poche gauche de mon pantalon. Je vous jure, il y a une explication quasiment décente à tout cela. On verra si elle mérite d’y consacrer un billet. Probablement pas.
Pour commencer, quelques notes de voyage des dix derniers jours devraient arriver prochainement. En tout cas dés que j’ai trouvé une sortie USB sur mon satané Moleskine.
Sur ce, bonne nuit tout le monde.
6 juin 2007
Rien de nouveau à offrir, sinon ce texte qui traîne dans mes brouillons depuis mon retour. Je n’avais pas vraiment l’intention de publier ça, mais après tout à quoi bon écrire, si ce n’est pour être lu.
À peine rentré, j’ai posé mon sac et suis resorti sans même enlever ma veste. J’avais besoin d’un verre. Le Balto avait fermé pour le week-end, heureusement Zach était ouvert et tenait lui même le bar. En bas, ça semblait de bonne humeur et ça jouait une espèce de ska jazzy façon titi parisien, en haut, c’était plutôt calme, voire morne : juste Zach derrière le bar, Kat sur le bar, à moitié endormie, et Django qui berçait l’ensemble avec quelques accords de guitare mélancolique. Je me suis posé, j’ai commandé un Jack Da’, me suis ravisé pour un Chivas, en me disant que le prix du verre contribuerait à m’éviter la tentation de me mettre minable. Tentation trop souvent suivie de celle de faire des appels que l’on regrette forcément le matin suivant.
On a un peu causé du temps, de la vie, des magasins punks de Soho et comparé le prix du tikka massala entre métropoles. Zach a bien vu que j’étais pas trop dans le bonheur rayonnant, mais est prudemment resté hors du sujet. A peine six jours plus tôt, assis au même endroit avec elle. Il est des histoires qui sont suffisamment universelles pour pouvoir se permettre quelques ellipses.
La conversation progressait par bribes laconiques, minimaliste sans être totalement laborieuse. Personne ne semblait d’humeur à secouer la torpeur sonore et tout le monde s’en satisfaisait comme ça.
A moitié appuyé au bar, j’ai regardé mon fond de verre, trouvé que la scène ressemblait beaucoup trop à un mauvais cliché cinématographique des années 30 et je suis sorti un peu précipitamment en saluant Zach et Kat.
Dehors, c’était une nuit tiède de mois de mai globalement réchauffé. Un temps à aller regarder la Seine, donc. Avec un peu de chance : quelque candidat à la mort par ingestion de vase toxique pour rappeler qu’il y a toujours plus désespéré que soi…
En glissant machinalement la main dans une poche, j’en ai sorti une cigarette inattendue, un truc conique qui avait traversé la Manche et les derniers jours, enveloppé dans quelques couches de mélancolie cotonneuse. Je l’ai allumé en passant sous l’arche de l’Institut.
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2 mai 2007
Il y a une première fois pour tout.
Il y a une première fois pour passer une après-midi allongé sur les pelouses parfaites de Hampstead Heath, entre deux saules et un irréel ciel bleu ensoleillé d’avril, à caresser une tête posée sur sa poitrine. Faire des digressions ornithologiques stupides, s’oublier complètement, arrêter mollement les mains baladeuses sous l’oeil perçant des vieilles rombières assises au loin sous la véranda. En se disant que c’est ce moment qu’on a attendu toute sa vie, qu’il serait bon de geler la marche du temps à cet instant précis et ne plus en parler.
Il y a une première fois pour écrire une lettre longue et irréversible et l’envoyer en espérant de tout son cœur qu’elle se perdra en route. Une lettre qui s’attache à rester sans réponse, qui surveille qu’elle n’est pas suivie, qui brûle tous les ponts possibles derrière elle. Une lettre dans laquelle on a emballé quelques tranches de chair fraîchement arrachées de là où ça fait mal. L’ablation prémptive de tous les organes non-vitaux. Douloureuse mais salutaire. Mettre les fins avant les débuts, c’est encore la meilleur manière d’éviter les travers littéraires.
Il y a une première fois pour ressentir un vide oppressant là où rayonnait la boule de bonheur angoissé quelques instants auparavant. Se dire qu’on est passé juste à coté de la catastrophe. Tenter de se convaincre qu’il s’agit juste de calcul et de discipline. La discipline du choix qui fait mal et qui rend plus insensible à défaut de rendre plus fort. Vous croyez que Napoléon, Pol Pot ou Gengis Khan auraient changé la face du monde s’ils avaient baisé heureux tous les jours?
Évidemment, toutes ces premières fois n’en sont guère. Elles se répètent aussi rapidement qu’elles sont oubliées. C’est à dire déjà beaucoup trop souvent.