Où il n'est bien sûr nullement question, ni d'automne, ni de Tokyo…

2 mai 2007

La malédiction de l’amnésique insouciant

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 12:01

Il y a une première fois pour tout.

Il y a une première fois pour passer une après-midi allongé sur les pelouses parfaites de Hampstead Heath, entre deux saules et un irréel ciel bleu ensoleillé d’avril, à caresser une tête posée sur sa poitrine. Faire des digressions ornithologiques stupides, s’oublier complètement, arrêter mollement les mains baladeuses sous l’oeil perçant des vieilles rombières assises au loin sous la véranda. En se disant que c’est ce moment qu’on a attendu toute sa vie, qu’il serait bon de geler la marche du temps à cet instant précis et ne plus en parler.

Il y a une première fois pour écrire une lettre longue et irréversible et l’envoyer en espérant de tout son cœur qu’elle se perdra en route. Une lettre qui s’attache à rester sans réponse, qui surveille qu’elle n’est pas suivie, qui brûle tous les ponts possibles derrière elle. Une lettre dans laquelle on a emballé quelques tranches de chair fraîchement arrachées de là où ça fait mal. L’ablation prémptive de tous les organes non-vitaux. Douloureuse mais salutaire. Mettre les fins avant les débuts, c’est encore la meilleur manière d’éviter les travers littéraires.

Il y a une première fois pour ressentir un vide oppressant là où rayonnait la boule de bonheur angoissé quelques instants auparavant. Se dire qu’on est passé juste à coté de la catastrophe. Tenter de se convaincre qu’il s’agit juste de calcul et de discipline. La discipline du choix qui fait mal et qui rend plus insensible à défaut de rendre plus fort. Vous croyez que Napoléon, Pol Pot ou Gengis Khan auraient changé la face du monde s’ils avaient baisé heureux tous les jours?

Évidemment, toutes ces premières fois n’en sont guère. Elles se répètent aussi rapidement qu’elles sont oubliées. C’est à dire déjà beaucoup trop souvent.

14 avril 2007

Coïncidences III

Posté dans : Memento, par Dave A. à 5:08

Coincidence is God’s way of remaining anonymous

Ce petit symbole tatoué discrètement sur un bout de ta peau, je ne l’ai pas oublié.

Sa forme, en tout cas, puisque tu n’as jamais eu le temps de m’expliquer sa signification. Mais j’aurais presque pu le retracer de mémoire.

De passage à Paris l’été suivant, je l’ai reconnu immédiatement quand je suis tombé dessus, au milieu d’une centaine d’autres idéogrammes tout aussi abscons mais moins familiers. C’était dans une minuscule boutique désordonnée près de la rue Mouffetard, pas loin d’un endroit que nous avions bien connu, où s’amoncelaient des marchandises provenant sans doute des quatre coins de l’Asie via le deuxième arrondissement. J’y cherchais une sacoche propre à remplacer la précédente, qui n’avait pas survécu à mes derniers voyages. Celle que j’achetai ce jour-là était brodé de ce même petit signe asiatique qui semblait tant te tenir à coeur. Je voulais toujours savoir. C’était facile: la boutiquière, qui parlait à l’évidence mieux cantonais que français, m’aurait certainement renseigné en un battement de cil. Mais je ne lui ai pas demandé, ni à aucune autre personne par la suite. J’avais ce sac et je l’aimais bien: il me rappelait la part de toi dont je voulais me souvenir.

C’est une étudiante chinoise, dans la file d’attente du service des visas de l’ambassade où nous attendions, qui m’a demandé en anglais si je savais ce que voulait dire cette inscription sur mon sac. Elle avait l’air un peu surprise. Je pensais qu’elle voulait simplement engager la conversation, faire passer le temps. Mais elle a hésité, pris soin dans le choix de ses mots, pour tenter de m’expliquer ces douze petits coups de pinceau: leur signification, leur signifiant, leur signifié. Et bien sûr, ce fut lumineux et évident comme il ne pouvait pas en être autrement.

Tu avais raison, Il n’existe probablement pas. Et quand bien même, quelle importance. Ce qui compte, ce n’est ni le départ, ni l’arrivée, mais le chemin qu’on choisit. Ceux que l’on ne choisit pas aussi. C’est l’essence de ce chemin qui fait ce que nous sommes et c’est le choix de ses embranchements qui définit tout ce qui nous entoure, à l’intérieur comme à l’extérieur. rien d’autre.

31 mars 2007

Coïncidences II

Posté dans : Memento, par Dave A. à 5:16

Il y a sept ans, Stella est morte.

C’est pas très beau, ça comme phrase. C’est cru, ça manque d’euphémisme poétique, de distance stylistique… Mais justement, je n’ai pas envie de faire du style ce soir.

Sept ans, c’est long. Suffisamment long pour que le souvenir s’en perde presque derrière l’horizon du chemin parcouru depuis. Trop vivide et lointain à la fois, ce souvenir. Je me demande parfois s’il s’agit de la même vie, s’il y a vraiment continuité entre ce début de printemps de la fin du dernier millénaire et le présent, alors que j’essaie de me remémorer des détails, d’année en année moins précis.

Mais en fait, les détails sont là, gravés et inamovibles dans le livret d’une histoire qui s’est rejouée des millions de fois dans ma tête depuis. Ce que j’ai peur d’oublier un jour, c’est les émotions, bonnes et mauvaises, qui se sont succédées. Ces émotions qui se désagrègent pour laisser place à de nouvelles émotions, plus récentes, moins douloureuses si possible, je vis dans la hantise de les perdre. Je m’y accroche comme on s’accrocherait aux maigres pièces à conviction d’une enquête qui n’a jamais abouti.

J’ai toujours pensé qu’avec le temps et le recul, en conservant bien tous ces souvenirs inchangés, alignés dans ma mémoire, je finirais forcément par en tirer une explication… Les sortant à intervalles réguliers, m’entêtant à les raviver, les examiner, les analyser, les ressasser, jusqu’à ce que je n’en puisse plus de tristesse et d’incompréhension et ne parvienne qu’à les remiser jusqu’à la fois suivante.

La vérité c’est que ce qui ne fait pas sens à un moment donné d’une vie, ne s’éclaircit jamais miraculeusement un beau jour, comme s’il avait fallu atteindre un âge donné pour que le déclic se produise. Ce genre de deus ex machina philosophique fumeux que l’on retrouve dans les oeuvres insipides d’écrivaillons paresseux, ça n’arrive jamais dans la vraie vie.

Il y a sept ans, Stella est morte. Pas moi. Je cherche toujours la morale que l’ordre cosmique aurait voulu m’inculquer ce jour-là. Je ne crois pas qu’elle existe.

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21 février 2007

Solipsitude

Posté dans : Nombrilisme, Qui sommes-je, où allons-je?, par Dave A. à 4:15

Vous savez de quoi j’ai besoin ces jours-ci?

Moi non plus.

D’ailleurs ça m’embête un peu. C’est important de savoir de quoi on a besoin. Si j’en crois Sigmund, le secret du bonheur consiste à auto-analyser ses désirs réprimés, apprendre à les sublimer dans la mondanité d’un quotidien banal, puis devenir expert-comptable. Je crois que Karl Jung était pas tout à fait d’accord. D’un autre coté, Sigmund et Karl s’accordaient sur peu de chose, sinon pour se traiter l’un l’autre de charlatan libidineux sénile.

Quoi qu’il en soit, savoir ce qu’il nous faut, ce qu’on veut, c’est important. Attention, hein, n’allez pas chercher dans le métaphysique ou l’avenir lointain. Il ne s’agit pas de ce que je veux faire, ce que je veux devenir ou ce que je veux faire graver en épitaphe… Non : ce que je veux, là, en ce moment, ce que je désire, ce qu’il me faut, qui il me faut, avec seins, sans sein, à dessein, sans dessin… Ce n’est ni hésitation, ni indifférence, juste l’inconnu… Une inconnue?

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8 février 2007

Ma table de chevet…

Posté dans : Caution Intellectuelle à 2 Yens, En Passant, par Dave A. à 2:11

Nous pressions le pas pour rentrer. Mais l’orage gagnait sur nous; il semblait nous poursuivre; nous nous sentions visés, oui, menacés directement. Alors, selon notre coutume, repassant ensemble notre conduite, l’un l’autre nous nous interrogions, tâchant de reconnaître à qui le terrifiant Zeus en avait. Puis, comme nous ne parvenions pas à nous découvrir de gros péchés récents, Suzanne s’écriait :

– C’est pour les bonnes!

Aussitôt, nous piquions de l’avant, au galop, abandonnant ces pécheresses au feu du ciel.

André Gide, Si le grain ne meurt

Supporting her weight with my left arm, I used my right hand to caress her soft straight hair. And I waited. In that position, I waited for Naoko to stop crying. And I went on waiting. But Naoko’s crying never stopped.

I slept with Naoko that night. Was it the right thing to do? That I cannot tell. Even now, almost twenty years later, I can’t be sure. I guess I’ll never know. But at the time, it was all I could do.

[…]

Her arms tightened around me at the end, when at last she broke her silence. Her cry was the saddest sound of orgasm I had ever heard.

Haruki Murakami, Norwegian Woods (ノルウェイの森)

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26 janvier 2007

La Dernière minute (pt. 2)

Posté dans : la Californie, par Dave A. à 4:19

Bon. Y’en a marre. Marre d’empiler les brouillons inachevés pour cause de virgule ankylosée à mi-phrase. Marre de passer des heures à me relire pour vérifier que mon orthographe est bien en conformité avec les dernières dispositions du 342è Concile du Collectif des Violeurs de Drosophiles en Réunion du Quai Conti. Marre de ressasser les paragraphes dans ma tête jusqu’à que j’en sois trop écoeuré pour écrire la moindre ligne. Marre de faire des efforts.

Merde à la fin, c’est qu’un carnet. On est pas là pour faire de la littérature. On est là parce que le Dr. Angstundsorgenstein a dit qu’au prix horaire de la consultation, soit un emprunt sur 20 ans, soit je trouvais un endroit moins cher pour ma thérapie de groupe.

Donc.

C’était par une sombre nuit d’orage, le vent glacial soufflait dans les aulnes avec un hurlement lugubre, la pluie fouettait le pavé et les grilles du manoir luttaient pour se libérer en d’inhumains grincements…

Non, pas vraiment en fait.

Ce matin là, sur Howard et Sixième, il faisait un temps radieux de fin de printemps san-franciscain, les petits oiseaux chantaient pas, mais le voisin avait déjà mis à plein volume son disque favori de polka mexicaine, le soleil s’était levé sans m’attendre, et à part une légère douleur hypertrophique résiduelle à l’entrejambe, j’étais en pleine forme. La veille, j’avais donné, vendu, recyclé, brûlé, ingéré, prisé ou mis en orbite la quasi-totalité de mes possessions terrestres. J’étais plus léger de plusieurs mètres cubes et presque prêt à m’envoler vers un autre continent. Mais pas vraiment pressé non plus. Avec ou sans mobilier scandinave et lit triple-matelassé, j’aimais bien ma routine indolente de l’époque.

Vingt minutes avec un large sac de glace pilée délicatement posé sur le bas-ventre, et j’étais prêt à démarrer ma journée. Brunch en patio, café et divers mélanges alcoolisés à base de jus d’orange (apport vitaminique oblige) au hasard des amis croisés dans Noe Valley, tournée bucolique des magasins de musique sur Upper Haight, deux heures payées à gloser grammaire et littérature étrangère avec des mères de famille en mal d’occupation, thé et goûter sur O’Farell, allo-t’es-où-?-un-spliff-dans-Dolores-park-ça-te-dit-?, apéro dans le Castro, essentiel quart-d’heure d’élaboration en groupe de l’agenda nocturne, cut, fondu scène intérieur d’un petit club du voisinage où je venais de finir de gagner quelques dollars et beaucoup d’alcool gratuit en passant quelques disques…

Deirdre me fit signe de la suivre vers les toilettes. Ou alors c’est moi qui lui avait fait signe, je sais plus. Peut-être même que c’est Tracy qui nous a tendu deux pailles et dit d’aller voir, troisième étagère sur la gauche, sous la statuette en bronze. Bref, des trucs peu recommandables. Non, pas ce genre de truc peu recommandable, l’autre genre de truc peu recommandable. Toujours est-il qu’on a à peine eu le temps de claquer la porte derrière nous. Et s’il y avait des trucs sous la statuette en bronze de la petite étagère, ils doivent toujours y être.

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21 janvier 2007

Au programme

Posté dans : Nombrilisme, par Dave A. à 11:40

En anglais on appellerait ça des teasers.

Le teaser, c’est ce bout de film, bouquin, etc. qui vous donne envie d’en voir plus. Parfois même un parfum ou un bout de jambe qui donne envie d’en toucher plus. À ne pas confondre avec le string ficelle remonté au dessous de la nuque, qui donne plutôt envie de demander combien.

Des teasers donc, concernant les billets que je m’engage à poster d’ici la fin de l’année 2007 (à cinq billets par an, je prends pas de gros risques, mais c’est déjà ça). Certains sont déjà à moitié écrits, quelques autres à moitié non-écrits, et d’ici le 31 décembre prochain, tous seront publiés.

Alors, quelques thèmes à venir, sans ordre particulier :

  • La pension. J’ai été envoyé en pension dans les alpages à partir de l’âge de un-peu-petit, jusqu’à la quinzaine mûrissante. Étrangement, je n’en garde pas de souvenirs particulièrement traumatisants. Peu de temps après mon évasion réussie, j’emménageai seul dans un studio parisien.
  • Des souvenirs. Ingénieusement fabriqués à la main selon une recette ancestrale, j’en vendais sur le Pont des Arts, en compagnie de ma copine de l’époque, aux touristes américains que nos gueules de lycéens sous-nourris devaient apitoyer (en fait, on bouffait à l’oeil dans la moitié des rades du quartier).
  • L’hôpital. Quand j’étais petit, je voyais des gens en blouse blanche partout. Toujours de temps en temps. Mais ça va mieux, je me soigne.
  • Prague. Par de regrettables concours de circonstances. J’ai fini dans une prison Tchèque. Deux fois.
  • Permis. Bien qu’étant maintenant un grand garçon, a priori pas moins doué que la moyenne pour les trucs qui roulent. Je n’ai jamais eu le temps ou l’occasion de passer mon permis de conduire voiture. Mon bref passage à Los Angeles fut l’une des rares fois où cela m’a particulièrement compliqué la vie.

NB : bien entendu, seuls les esprits contrariants verront dans le présent sommaire, un procédé chafouin de troisième sous-sol (bref de bien bas étage), me permettant de répondre, sans avoir l’air de renier complètement mes beaux principes, à l’une de ces stupides chaînes littéro-blouguesque qui pullulent, même chez les gens de bonne compagnie.

De toute manière, tout ce qui précède n’est que fabrication éhontée, comme d’habitude.

18 janvier 2007

La Culture m’excite au plus haut point…

Posté dans : J'adore, l'Actualité, par Dave A. à 4:20

Ces temps-ci, par les bons soins de mon ange-gardien, je traîne beaucoup dans les cocktail-party culturo-ministérielles. C’est la nouvelle année : tout le monde, de Monsieur le Ministre lui-même jusqu’au plus obscur sous-secrétaire détaché à la Culture de la Betterave en Basse-Creuse, y va de sa cérémonie de voeux, occasion à moult allocutions verbeuses auto-fellatrices, mais toujours assortie de promesses d’une conclusion foie-gras-champagne, histoire d’assurer le quota de main clappantes tout au long durant. Dans la pratique, c’est un peu la charmante continuation des bonnes veilles traditions de cours bourbonesques, les perruques poudrées en moins.

Ma sensation aiguë de n’avoir aucune raison légitime de mettre les pieds dans ces raouts muséophiles en est donc atténuée par la réalisation que la vaste majorité des autres convives présents n’en ont guère plus.

Pour ceux qui envisageraient de se lancer dans une carrière de parasite de la République à plein temps : ne tenez aucun compte, dans le choix de vos fonctions sociales, du renom de la tête d’affiche qui est très rarement gage de qualité coté buffet. Privilégiez en revanche les piètres orateurs à discours long et ennuyeux. D’expérience, plus le discours est chiant, plus la marque du mousseux tire vers le haut (c’est à ça que ça sert, un conseiller en com’).

Toutes ces invitations viennent par ailleurs accompagnées d’entrée privilégiée aux collections artistiques attenantes. Visites d’autant plus tranquilles qu’elles intéressent nettement moins les récipiendaires des-dits cartons que les plateaux de petits-fours Picard réchauffés.

L’autre jour, donc, durant l’une de ces traditionnelles lectures de pages-jaunes de la nouvelle année, quelque part entre les remerciements à Monsieur-le-Conservateur-du-Musée-du-Liège-et-du-Bouchon-d’Anvers-sur-Loire et le couplet nécessaire sur la grande amitié franco-abou-dhabinoise (Abou Dhabi, son histoire immémoriale, la richesse culturelle de ses sous-sols…), je somnolais, songeant que pouvoir mater sereinement du masque africain tout l’après-midi, loin du hoi polloi des jours ouvrables valait bien le sacrifice de quelques neurones innocents à l’autel du pompier inconnu mort pour le style. En murmurant aussi à ma gente compagnie qu’ils avaient intérêt a servir au moins du Piper-Heidsick millésimé dans le carré VIP pour rattrapper ça.

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15 janvier 2007

J’ai pour me guérir du jugement des autres, toute la distance qui me sépare de moi-même.

Posté dans : Carnet de Bal, J'adore, J'exècre, par Dave A. à 2:44

J’ai beau essayer le zen, la quête du satori, la mort lente par agonie des neurones.
Le calme me fait peur, je n’y peux rien, c’est comme ça. L’anxiété sociale, la peur du vide, Qualche volta, quest’oscurità, questo silenzio, mi pesano… Tout ça…

Alors du coup, un peu comme les héros shakespeariens qui redeviennent lucides cinq minutes avant leur mort, les journées d’agitation totale me donnent toujours un paradoxal sentiment de liberté et de champ des possibles quasi-infini.

Je crois que c’est pour ça que j’aime bien le dernier jour de l’année. Pas parce qu’un corps céleste est sur le point d’accomplir sa millionième-et-quelques révolution autour d’un des milliards d’astres de la galaxie, pas parce que le petit Jésus s’est fait couper le bout de la zigounette 2007 ans plus tôt, pas même parce que c’est le jour où le dernier des connards se sent forcé d’enfiler un chapeau en carton en sirotant des bulles pour faire oublier qu’il passe les 364 autres soirées de l’année à roter sa kro’ sur son canapé devant TF1… J’aime le 31 décembre, parce que c’est un des jours où j’apprécie le plus de ne rien faire d’important. Je prends mon temps ce jour-là, et chacune des petites activités banales auxquelles je m’adonne a le goût des occupations plus solennelles dont elle prend la place.

Bien sûr, je ne passe pas (toute) ma journée à rêvasser sans but en relisant les livres que je n’ai presque plus le temps d’ouvrir ces jours-ci. J’aime bien profiter de l’occasion pour contacter les amis que je ne peux me résoudre à laisser filer complètement comme du sable entre les putains de griffes du temps qui passe. J’aime bien les inviter à aller prendre un café et reprendre les discussions au point où nous les avons laissées un ou dix ans plus tôt.

Pendant le dîner, on a parlé des cinq dernières années de la vie de nos alter-egos respectifs : ceux qui vivent dans une dimension parallèle où les maisons sont peintes par Caravage, les dialogues écrits par un écrivain fou et les chats se déplacent sur des échasses.

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27 décembre 2006

Un conte de Noël (suite et fin)

Posté dans : Contes et Légendes, par Dave A. à 8:34

Suite et fin de notre conte de Noël pour enfant. Resservez vous un peu de whisky et prenez un siège au coin du feu…

« Alors même qu’au Pôle Nord se déroulaient les terribles événements que je vous narrai naguère, quelques kilomètres plus haut, au QG de la Jesus Incorporated, le Cortège Céleste suivait anxieusement les déboires du Père Noël, songeant avec effroi au coût faramineux qu’entraînerait une annulation de dernière minute et la nécessité de rembourser toutes les pré-ventes sur l’événement.

Saint Michel courait dans tous les sens, tentant de trouver un moyen de régler la situation: « Bon sang de bordel de Lui, mais c’est pas possible ! Vous savez le chiffre qu’on fait sur cette soirée seule ? On ramasse plus qu’à la Pentecôte et Pâques combinés ! Si on se mange sur ce coup, vous pouvez tous dire adieu à votre bonus de fin d’année : le 31, on le passera à laver des pare-brise à la sortie des supermarchés roumains… ».
Sans lever les yeux de son exemplaire du Paradis de Milton (tirage sur papier glacé illustré par Helmut Newton), Gabriel suggéra : « Et le Boss, dans tout ça ? Pourquoi vous allez pas tout simplement lui en toucher deux mots ».

« Aux dernières nouvelles, Il est dans sa suite au Hilton d’Acapulco avec 35 putes mexicaines et trois litres de mescaline. Il a promis que le premier qui le dérangeait au milieu de sa soirée d’anniversaire, il finissait dans un show del burro à Tijuana. »

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24 décembre 2006

Un conte de Noël

Posté dans : Contes et Légendes, par Dave A. à 11:59

« Oncle Dave, oncle Dave, tu nous racontes une histoire de Noël, hein, dis ? »
« Une histoire de Noël… Hmmn, oui, bon… D’abord, allez donc me chercher la bouteille posée là bas derrière, sur le petit meuble en acajou, non, pas le 12, celle avec le 18 que papa planque derrière le mauvais brandy. Voilà, parfait. Maintenant asseyez-vous en cercle : je vais vous raconter la merveilleuse histoire du petit ange de Noël, celui que votre maman a accroché au sommet du sapin comme tous les ans… »

« Il y a bien longtemps, dans une contrée reculée du Pole Nord, c’était la veille de Noël et les choses n’allaient pas si bien.

Effondré sur un coin de la table de réunion, le Père Noël suivait d’un oeil résigné le conseil d’administration qu’il avait convoqué d’urgence. Les négociations étaient au point mort. Les elfes refusaient de reprendre la production tant que leurs revendications n’auraient pas été entendues : passage aux 35 heures par semaine polaire et re-indexation des salaires avec prime de risque, suite au nombre d’attaques d’ours blanc dans les parkings de l’usine, en constante augmentation depuis quelques années. Le contremaître en était à s’engueuler bruyamment avec le représentant de Force Elfique Ouvrière, l’un traitant l’autre de pourriture syndicaliste sans-coeur, se prenant du social-traître exploiteur d’enfants en retour.

Dans un coin, Rudolphe, ayant rapé d’une main experte quelques copeaux de sucre-canne, était occupé à les réduire, de quelques mouvements de sa lame de rasoir, en un petit tas de poudre cristalline qui se reflétait dans le vernis de la table en cerisier noire. Après s’être penché pour faire disparaître la petite ligne de poudre d’un mouvement de truffe peu discret, il se retourna vers le Père Noël en levant un sabot accusateur : « Ça fait des années que je dis qu’il faut délocaliser, qu’un gosse Vietnamien, ça fera un aussi bon boulot que le dernier de ces feignants d’elfes de mes deux, pour le dixième du prix… Est-ce qu’on m’a écouté ? Bien sûr que non, toujours soucieux de l’image de la boîte, le qu’en dira-t-on, le bien-être des employés… Et maintenant, on est où ? On fait déjà plus le poids face à la concurrence et ces bolsheviks d’oreilles en pointe nous lâchent au pire moment de l’année. »

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Post coitum, anima tristis

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 1:19

« Post coitum, omne animal triste » aurait parait-il écrit St Augustin, qui passa beaucoup de temps à observer ses cochons d’Inde niquer en cage.

Adage exact s’il en fut, j’en témoigne. La détresse post-coïtale touche tous les animaux, même le plus bipède des mammifères…

N’allez pas tirer de conclusions hâtives : il ne s’agit en rien d’une entorse aux strictes règles de la vie monacale qui est la mienne ces temps-ci (sobriété, chasteté, humilité, domination mondiale d’ici la fin de la décennie…), le coït en question fût purement intellectuel. Et je ne suis même pas tout à fait sûr qu’il s’agissait d’un rapport consentant. Entre la Science et moi, je sais pas qui se débattait le plus, mais de notre interminable séance d’accouplement des deux derniers mois, il ne me reste que de très vagues résurgences : je me souviens m’être couché un soir de novembre en me disant que décidément, il allait falloir s’y mettre pour de bon… Puis, plus rien, le vide total, pour me réveiller avant-hier, nu sur le sol de mon appartement, recroquevillé en position foetale, le corps couvert d’inscriptions bizarres tatouées au bic quatre-couleurs.

Dans le brouillard amnésique de cette période, il y eut bien quelques lueurs de réminiscence, balises du souvenir de jours meilleurs passés ou à venir… Je me souviens avoir pensé une fois ou deux à ce blog, à ses trois lecteurs chers à mon coeur, à la faim dans le monde, à la guerre et à l’injustice, à la manière incroyablement érotique de ma consoeur de science de retrousser ses lunettes en me demandant ce que je pensais de cet inversion du nabla à mi-chemin sur la courbe de ses lèvres délicatement relevées en une moue interrogative et indéniablement provocatrice classification non-linéaire par approche du gradient fraîchement apparue sur l’écran de résultats. Pas spécialement dans cet ordre, mes pensées…

Et puis comme à chaque fois, je suis finalement arrivé à destination quasi-intact, preuve que l’on peut très bien survivre quelques mois sur trois heures de sommeil quotidiennes et 5 grammes de caféine dans le sang, avec seulement de très légères séquelles psycho-motrices à déplorer. Le problème, c’est que maintenant que je peux, je ne veux. Bien qu’ayant enfin mis un terme à mon récent débordement d’activité, je ne suis plus d’humeur à reprendre toutes ces occupations non-vitales interrompues à contre-coeur pendant les derniers mois.

C’est rien, j’ai juste l’âme temporairement un peu vide. Ça devrait passer.

La mauvaise nouvelle (ou la bonne, suivant que vous vous forcez à la lecture de ces billets par pur instinct masochiste), c’est qu’il va falloir attendre encore un peu pour des billets frais sur ce carnet. La bonne (resp. mauvaise) nouvelle, c’est que j’ai malgré tout quelques brouillons en réserve, des trucs écrit entre deux comas post-épileptiques, que j’avais encore moins envie de publier avant que maintenant : du réchauffé désynchronisé, mais qui fera bien l’affaire aprés quelques relectures rapides…

Message à caractère personnelle : dans tout ça, j’ai un peu l’impression de n’avoir pas été le seul à négliger son lectorat récemment (pas de noms, mais je n’en pense pas moins). Alors on sort tous sa plume de là où on l’avait distraitement laissé (je veux pas savoir comment elle est arrivée là) et on s’y remet, que diable. J’attends.

15 novembre 2006

Septembre en Trois week-ends (pt. 3)

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 9:20

Les mariages, c’est surtout un bon prétexte pour retrouver, suivant les cas : les cousines que l’on n’a pas croisé depuis l’âge où on leur tirait les couettes en vacances à la montagne, ou bien les amis plus récents éparpillés au gré des continents et des arrondissements. C’est aussi l’occasion de mesurer les ravages de l’amour et du temps sur la convergence paritaire des uns et des autres.

Ce week-end là, certains se disaient oui, d’autres s’entraînaient à dire oui et quelques uns s’entraînaient à dire non… Pour ne rien dire des couples tendance damnation éternelle et interdiction de mairie qui s’entraînaient au reste. Assurément on était loin des contes de fée d’antan malgré la proximité de Brocéliande. Papa Ours et Papa Ours, si mignons dans leur costumes assortis, Boucle d’Or plus intéressée par Blanche Neige, et Sept Nains un peu perdus loin de leur Marais natal… Quant au chevalier de l’Hétérault : il n’essaie même pas de faire croire que son port de la moustache pornoprussienne et des lunettes assorties puisse relever de l’ironie… Dans un monde où les frontières sexuelles semblent toujours plus élusives, il est des valeurs qu’il importe de préserver, fussent-elles celles du cinéma allemand pour adultes des années 70. Loïc, lui, préfère courir après des marathoniennes… Ça entretient la forme, sinon le moral, paraît-il.

Et Elle dans tout ça ?

Que reste-t-il de nos amours ?

Compte-tenu de l’âge, date et cause du décès, je dirais : peut-être quelques bouts de cubitus et un bon mètre-cube de terreau fertile. Pour le reste, il faudrait demander à un légiste, je suis pas spécialiste de ces choses là.

Enfin, l’essentiel, c’était de pouvoir passer 36 heures sur le même continent et se séparer sur un sourire et une promesse de se revoir à l’occasion, aussi amicale que dénuée de la moindre intention de s’y tenir. Je ne sais pas ce qu’elle me doit, mais je dois bien lui devoir au moins ça.

1 novembre 2006

Septembre en Trois week-ends (pt. 2)

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 4:29

Un des plaisirs pas si simples de la vie, que j’apprécie beaucoup plus que je ne le devrais, c’est de traverser une frontière les mains dans les poches. Voyager sans bagage, comme si j’étais juste sorti pour aller acheter du pain. Je ne le fais pas si souvent et à vrai dire, c’est plutôt l’inverse d’habitude : j’embarque ma maison dans deux valises partout où je vais. Je crois que l’avant-dernière fois remonte au nouvel an du siècle dernier, et c’était à Viennes. Mais ça, c’est pour un autre jour.

Le mois dernier, donc, je foulais le sol de Waterloo d’un pas somme toute assez peu prussien malgré l’heure matinale, un bouquin à la main, de la musique dans les oreilles et une cravate roulée dans la poche. Et comme j’étais d’une humeur incroyablement dispendieuse ce jour-là, c’est assis sur une banquette, discutant politique du continent indien avec mon chauffeur Sikh tout en achevant de nouer mon déguisement, que j’achevais mon trajet.

Je la connais à peine mieux, mon autre grand-mère, mais contrairement à ses homologues secoués du bénitier, elle a toujours favorisé le sourire de connivence à l’autorité sèche, dont je la soupçonne pourtant fort capable. D’abord, parce qu’elle sais trop bien d’où je peux tenir ce chromosome de l’obstination butée, façon chèvre à quatre cornes. Ensuite, parce qu’elle m’aime bien. Ici aussi je suis l’aîné des aînés, ici aussi ça compte, mais différemment.

Moi aussi je l’aime bien.

J’aime bien le parchemin mat de son visage et ses deux petits yeux verts pétillants comme une gamine qui n’aurait pas le dixième de son âge. J’aime bien le demi-sourire énigmatique rapporté de son Égypte natale dont elle ponctue presque toutes ses phrases. J’aime l’élégance de son accent : fût-une époque, j’aurais bien donné une ou deux phalanges pour pouvoir le troquer contre l’étrange diction cosmopolite que j’avais ramené des îles en même temps que mon enfance… Encore maintenant, je suppose… Évidemment, il est bien trop tard pour y remédier, et je me contente de camoufler du mieux possible les relents de nouveau continent qui ont tendance à surgir dans mes prononciations, tant je sais que sa pourtante modeste fibre patriotique en souffre.

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5 octobre 2006

Septembre en Trois week-ends (pt. 1)

Posté dans : l'Actualité, par Dave A. à 1:14

Petit intermède.
J’avais prévu de reprendre là où j’ai laissé l’autre jour (promis ma Brisquette : on y reviendra)… Mais j’ai pas eu une minute à y mettre cette semaine : avant-hier, c’est Kheir, invoquant Allah sans arrêter un instant de reluquer le cul pas très hallal du serveur, qui nous a inopinément laissé avec deux bouteilles de vin de Sicile à finir à deux. Hier, tardivement libéré de mes obligations, je finissais ma soirée dans un café du onzième à attendre en vain une élusive à qui j’avais promis un lait-fraise (bon, ok, je faisais pas qu’attendre et de moins élusives étaient présentes).
Bref, il faudra pour l’instant se contenter de mes notes du mois dernier, décousues à la main, recousues à la machine en attendant mieux.

Premier week-end. Mes Grand-Parents.

C’est leur tour annuel de la plantation : profitant de l’hiver austral, ils parcourent la création à coup de 747 et luttent à leur manière contre la pernicieuse hérésie copernicienne, en s’assurant que le soleil n’a pas tout à fait pris le pas sur leur ego, comme centre de rotation terrestre.

Le premier souvenir que je garde de ma grand-mère est une posture. Sa posture. Debout, légèrement penchée en avant, dans une ferveur à peine forcée. Elle prend un soin, que je sais maintenant calculé, de ne pas laisser un instant son regard glisser vers le gamin qui pleure abondamment à ses côtés. D’ailleurs, il ne sait même plus trop pourquoi il pleure, ce gamin : est-ce à cause du sommet invisible de la nef qui lui donne le vertige, ou parce qu’il ne comprend rien à la langue bizarre dans laquelle s’exprime l’homme que tous écoutent, ou encore à cause de la gifle qu’il vient de recevoir en guise d’invitation à baigner plus silencieusement dans Son amour et Sa miséricorde éternelle. En tous les cas, il se souviendra longtemps de leur masque impassible de bienheureuse exaltation, qui ne s’accommode pas des mesquines contingences matérielles du sentiment d’autrui. Ah, on sent bien qu’il les agace, cet Autrui, avec son irritante habitude d’exister pour lui même, son horripilante tendance à vouloir conserver sa volonté propre, seule ombre mineure au rayonnant tableau que leur a personnellement légué le Tout Puissant dans Son incommensurable bonté et Sa sagesse infinie.

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et ignotas animum dimittit in artes